dimanche 29 avril 2018

Quelques nouvelles des Empereurs

Presque tous les reproducteurs sont désormais arrivés. La colonie est formée, et s'étend entre Lamarck et Rostand.

Crédit photo: Nathalie JAMOT
Couloirs d'arrivée et position de la colonie

Depuis l'arrivée du premier manchot Empereur le 19 mars dernier, la population a crû rapidement, jusqu'à plus de 8000 individus. Le maximum des arrivées a eu lieu le 12 avril, avec 980 nouveaux manchots comptabilisés sur la journée. Ils sont encore 20 à 25 à continuer à arriver par jour. En 2017, la dernière arrivée a été enregistrée au 5 mai.
Suivi du nombre d'individus à la manchotière (graphe Alexandre BADUEL)

La débâcle et le mauvais temps dans la première quinzaine du mois ont compliqué les comptages, les manchots n'arrivant pas en colonne. Alexandre, l'ornithologue du programme 109*, a dû opter pour le photo-comptage: prise de photo quotidienne, puis comptage "à la main" (et à l’œil) du nombre d'individus.
Zoom sur un photo-comptage, travail de titan (crédit photo: Alexandre BADUEL)

Les vocalises résonnent sur la banquise, les couples se forment, c’est la fin de la parade ; la reproduction a commencé. 
On ne peut s’empêcher d'interpréter les attitudes et les gestes délicats comme des marques de tendresse.

Delphine, l’ornithologue du programme 137**, a réalisé depuis l’arrivée des Empereurs un suivi des individus transpondés.
Le programme vise à évaluer les capacités d’adaptation des manchots Empereurs aux changements globaux environnementaux (écologie comportementale et dynamique des populations). Pour limiter les impacts sur les oiseaux, les chercheurs ont préféré au baguage la pose de transpondeurs sous-cutanés (sur les manchots, les bagues se posent à l’aileron, contrairement aux autres oiseaux, et peuvent gêner l’oiseau pendant la nage, par exemple).
Les individus transpondés sont repérés via des antennes de détection, puis marqués avec de la teinture pour cheveux, et photographiés.

L'antenne est placée sous la neige; lorsqu'un individu transpondé passe sur l'antenne, un signal est envoyé au logiciel de suivi de l'ordinateur dédié, indiquant le numéro attribué à l'individu
(crédits photos: Delphine MENARD)
Romain, le technicien Météo, avec le pinceau au bout de la perche, pour marquer les manchots à distance
(crédit photo: Delphine MENARD)
Manchot marqué: celui-ci, c'est "M20", surnommé "Alfred" (crédit photo: Delphine MENARD)
Il est plus difficile de repérer les manchots marqués dans la manchotière (crédits photos: Ewan TESSIER)

Les multiples voies d’arrivées des manchots, l’épaisse couche de graisse qu’ils ont accumulée avant la phase de reproduction, les températures qui affectent le matériel informatique, la neige qui se dépose sur le pinceau, le vent qui fait dévier la perche ou encore les chutes de neige recouvrant les antennes de détection… autant d’éléments qui rendent la chose assez « sportive », malgré l’apparente simplicité du protocole. Une centaine de manchots transpondés ont pu être repérés cette année en dépit des tempêtes.

Les débâcles et embâcles successifs ont généré par endroit des marches d'1 mètre 50, compliquées à franchir et occasionnant des "bouchons" sur les routes de la colonie (crédit photo: Delphine MENARD)
Jusqu'à ce qu'ils trouvent une entrée, par exemple par la mer (crédit photo: Hélène LARMET)

Les joies du terrain pour les scientifiques et ceux qui les aident. Ici, Gauthier, l'électronicien, et Corentin, l'informaticien, qui suivent l'ordinateur pour indiquer à Delphine quel manchot est transpondé pour qu'elle le marque
(crédit photo: Delphine MENARD)

En parallèle du suivi des mouvements de ces individus marqués, et de l’identification de leurs partenaires, depuis quelques jours, Delphine est passée à une autre phase de son programme : l’étude acoustique, aux différents stades de la reproduction. Chaque manchot est en effet identifiable par son chant, amplifié par sa cage thoracique, véritable « signature vocale » nécessaire au manchot pour reconnaître son partenaire, ou bientôt son petit, dans la foule.
Delphine avec son dispositif d’enregistrement, qu'elle devra pointer vers l'individu marqué qu'elle veut enregistrer
(crédit photo: Georges VERNOIS)
De quoi intriguer les "cobayes" (crédit photo: Delphine MENARD)
Cette étude vise à établir si ce chant est une information sur la « qualité » de l’individu : par exemple s’il change en fonction de l’âge, de l’état physique (début du jeûne vs fin du jeûne).
Le chant joue un rôle dans la reproduction, c’est le « premier contact ». Pour faire son choix, l’animal s’intéresse ensuite notamment aux taches jaune orangé du cou et de la tête du partenaire potentiel.

Le chant des femelles est saccadé, celui des mâles plus lent.

A ce stade, la plupart des couples sont formés, et il reste davantage de femelles que de mâles. Ces jours-ci, lorsqu’un mâle chante, c’est la compétition : un raz-de-marée de femelles afflue vers lui, et les coups d’ailerons pleuvent.
Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer ce ratio mâles/femelles déséquilibré : le jeûne très long du mâle (2 mois) au début de la reproduction pourrait raccourcir sa durée de vie ; ou les mâles pourraient ne pas revenir se reproduire chaque année.

Bien des choses sont encore à découvrir !


* programme 109 : ORNITHOECO (Oiseaux et mammifères marins sentinelles des changements globaux dans l’océan austral), Centre d’étude biologique de Chizé

** programme 137 : ECOPHY (Stratégie alimentaire et mécanismes d’adaptation comportementale et physiologique des manchots face à la variabilité climatique : limites et impact sur la dynamique des populations), Institut pluridisciplinaire Hubert Curien, Strasbourg

jeudi 19 avril 2018

Retour du soleil


Comme prévu par la météo, belle journée ensoleillée aujourd'hui. Après 8551 coups de pelle et 75 m3 de neige déplacée (chiffres non contractuels... mais l'idée est là, pelle mécanique incluse), nous avons récupéré des cheminements sécurisés sur les passerelles, des portes d'accès et des fenêtres laissant passer la lumière du jour:

La passerelle reliant le séjour et la Centrale (crédit photo: Hélène LARMET)

La passerelle (elle est dessous...) entre le dortoir des hivernants et le séjour, avant et après (crédits photos: Hélène LARMET)

La congère du séjour côté BT/Géophy (crédits photos: Alain MATHIEU et Hélène LARMET)


A chacun sa technique! Un exemple de tunnel: à la Météo (crédit photo: Hélène LARMET)

Petit cadeau pour démarrer cette belle journée: un reste du festival d'aurores de cette nuit, avec les lueurs de l'aube naissante:
Crédit Photo: Alain MATHIEU

lundi 16 avril 2018

Ça souffle...

Nous avons atteint le record de vent de la précédente mission ce matin vers 8h30: 113 kt, soit 210 km/h.

Pas de radiosondage aujourd'hui, le matériel ne résiste pas à ces conditions: la sonde s'est détachée du ballon. 

Heureusement, toujours pas de dégâts liés à ces vents incroyables; seulement des activités reportées et des temps de trajet rallongés!

La tempête perdra en intensité cet après-midi (sont prévus des vents moyens autour de 40-45 kt, des rafales à 65/70 kt), et nous devrions même avoir quelques éclaircies demain. Difficile d'imaginer dans ce grand blanc que mercredi sera une journée ensoleillée (quoiqu'encore venteuse): c'est l'Antarctique.

Evolution des vents depuis dimanche (DDU: UTC+10h)

mercredi 11 avril 2018

Embâcles, débâcles…

Nous avons essuyé une jolie tempête, qui a duré 7 jours consécutifs, du 28 mars au 3 avril. Les vents en rafale ont dépassé les 180 km/h à plusieurs reprises, et la visibilité était très limitée, par les précipitations de neige et la neige soufflée du continent.
Heureusement, aucun incident, ni humain ni matériel.

(une pensée pour nos collègues de Crozet, où un orage suivi de deux tempêtes successives ont fait de gros dégâts sur la base : glissements de terrain, coupure de l’alimentation en eau, lignes téléphoniques, réseaux électriques et détection incendie grillés, problèmes électroniques…)

 
Ces conditions, et deux autres jours de tempête précédemment (les 7 et 19 mars), ont fortement impacté la banquise autour de la base.

Voici par exemple l’évolution autour du Lion sur un mois :
Le 6 mars: la jeune glace en formation
Le 7 mars: une journée de fort vent craquelle la surface
Le 11 mars: la glace de mer s'épaissit
Après la débâcle partielle du 19 mars
Le 24 mars: une glace mince réapparaît, entrecoupée de quelques rivières
Le 2 avril: à l'issue de la tempête
Le 7 avril: l'anse et la mer au-delà du Lion se réenglacent

De même, entre Pétrels et Prud’homme (éloignés de 5 km):
Le 23 mars: quelques zones ont débâclé mais la banquise reste épaisse du côté du continent (sud)
Le 4 avril, après la débâcle
Le 7 avril: la glace se reforme

Et enfin, du côté de Gouverneur, Sagittaire, Taureau et autre signes du Zodiac :
Le 17 mars...
... et le 10 avril

Depuis hier, nous voici à nouveau dans le blanc. Comparativement à la tempête de la semaine dernière, les vents sont plus modérés, « seulement » 35 à 45 kt moyens, avec des rafales à 50/60 kt.


Souffle un vent d’est (alors qu’il vient en général plutôt du sud-est), avec des précipitations de neige et de la chasse-neige, diminuant la visibilité et accumulant des épaisseurs de neige très souple sur toute la base, dans des coins et recoins un peu inhabituels. Les températures remontent, jusqu’à -2°C.

Reste à voir comment ces régimes de vent influenceront la banquise. 
La neige accumulée sur la glace de mer peu épaisse a de plus tendance à faire fondre cette dernière, en créant des ponts thermiques, avec un effet de couverture chauffante : l’air emprisonné est chauffé par le soleil, la glace se fragilise par le dessous. La neige cache également les obstacles.
Il faudra 4 à 6 semaines d’air froid (-8°C, -10°C), sans trop de vent et de houle, avec une température de la mer à –1,8°C sur 1 m de profondeur, pour obtenir à nouveau une glace praticable.
Avec de nouveau des éléments déchaînés annoncés pour la fin de semaine, il faudra patienter encore un peu !