Deuxième volet d'une série de cinq textes de Didier Schmitt parus ou à paraître dans le quotidien "La Tribune". (cf. première partie ICI)
Base Concordia - Crédit photo : Didier SCHMITT |
Les opinions exprimées dans l'article ci-dessous sont uniquement celles de l'auteur.
« Maintenant que la banquise a reculé, la base de Dumont d'Urville apparaît isolée sur un 'caillou': l'île des Pétrels. Ce sont les quartiers provisoires pour les estivants, mais pour les hivernants ce sera bientôt l'unique lieu de vie pour l'année à venir. Le confinement et l'isolement se feront vraiment ressentir quand l'Astrolabe quittera définitivement le quai début mars pour ne revenir au mieux que début novembre. Seule la présence des manchots servira d'échappatoire à la monotonie. 'La Marche de l'empereur' a d'ailleurs été tournée à quelques encablures. »
Collecter des informations scientifiques est capital dans une zone d'observation très singulière qui est aussi vaste que la Chine, la Mongolie et l'Inde réunies. Encore faut-il en avoir les moyens, et surtout le savoir-faire, afin de survivre dans un environnement des plus hostiles. Un cercle très restreint d'experts - dont on parle peu - maintient une présence permanente dans cette zone subantarctique et antarctique.
Drapeau tricolore sur le continent blanc
Très tôt la France a relevé ce défi, en devenant un des piliers de l'exploration de ce bout du monde. Parmi la trentaine de pays qui ont un « pied-à-terre » sur le sixième continent, seul 20 y ont une présence ininterrompue. La station française de Dumont D'Urville, qui fête ses 60 ans cette année, se trouve à 2.700 km des côtes australiennes. Pendant l'hiver austral, aucun avion ne peut s'y poser et l'accès maritime est condamné par une épaisse banquise. Cette base a des cousines plus ou moins éloignées, comme sur les Iles Kerguelen - dont la plus étendue est aussi grande que la Corse, l'archipel Crozet qui abrite plus de 25 millions d'oiseaux et l'île Amsterdam, la petite Riviera où il ne gèle pas. Sa demi-sœur est une Franco-Italienne du nom de Concordia. Située à 1.100 km à l'intérieur des glaces sur un plateau à plus de 3.200 m d'altitude, c'est la plus rude de la famille. Au total, il y a environ 400 personnes présentes entre chaque relève sur ces districts qui sont administrés par les TAAF (Terres australes et antarctiques françaises).
Ces bases peuvent aussi avoir d'autres fonctions, telle celle de Kerguelen, qui peut accueillir des bateaux de pêche en détresse ou la base 'DDU', qui est le pivot de la chaîne logistique qui part de l'hexagone par avion, puis par bateau en partance de Tasmanie, et finalement par les raids tractés vers Concordia.
Une expérience humaine hors norme
Le premier hivernage a débuté en 1952, date de naissance de certains vétérans - ou plutôt invétérés - de ces lieux. Coupées du monde environ neuf mois sur douze, toutes ces stations ont comme fonction première d'abriter les scientifiques dans les meilleures conditions malgré des situations géographiques très particulières. À DDU, une soixantaine de chercheurs et de personnels techniques s'agitent comme dans une ruche durant les quatre mois d'accessibilité. Ils remettent à flot les infrastructures et les équipements scientifiques, et rapatrient les nombreux prélèvements d'échantillons scientifiques. Environ vingt-cinq d'entre eux y resteront jusqu'à la relève... l'année suivante. Ils vont former une mini-communauté autonome et polyvalente. Le médecin par exemple (qui va rester 15 mois sur place) doit non seulement faire office de dentiste, mais aussi de radiologue, de laborantin, voire d'anesthésiste et de chirurgien le cas échéant, et aussi de psychologue.
Subsister
La vie en autarcie et la promiscuité demandent une santé irréprochable et donc une sélection médico-psychologique stricte. Les aléas sont nombreux et les évacuations sanitaires très limitées sur les îles australes et impossibles en hiver à DDU et à Concordia. Outre les compétences scientifiques, il faut une quinzaine de corps de métiers (mécanicien, électricien, chauffagiste, cuisinier...) sans lesquels une base ne peut fonctionner. Installations restreintes pour les habitations, ateliers et laboratoires et une empreinte minimale du point de vue environnemental : un contraste intéressant avec nos vies occidentales faites de surplus.
Le dos rond
L'ère n'est plus au morse pour les communications, mais la 4G n'a pas encore fait son apparition pour autant. Facetime, snapchat et autres . sociaux sont donc limités. Il faut faire avec. Et tant mieux peut-être, car l'un des intérêts de ce type d'expérience est bien la vie en communauté. Les journées vont bientôt raccourcir, de 1h30 par semaine! Une fois la campagne d'été terminée et en attendant le prochain ravitaillement et la rotation des équipages, il va falloir trouver ses marques. La déprime est à l'affût, sans exception. Le seul bol d'air viendra lors de la grande fête du "Mid-Winter", une sorte de laisser-aller qui correspond au milieu de l'hiver, le 21 juin. À partir de là la pente remontera doucement, au rythme du soleil qui aura tant manqué.
Article publié sur : http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/l-antarctique-hibernage-dans-le-grand-sud-2-5-626777.html
Retrouvez Didier Schmitt sur ses Blogs :
http://blogs.esa.int/concordia/category/didier-schmitt/
http://sciencebusiness.net/news/80038/My-journey-to-the-bottom-of-the-world
Twitter : @didier_schmitt
Prochain article à paraître: Mad Max dans le désert de l'Antarctique (3/5)
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