mercredi 5 juillet 2017

Le LIDAR : un laser à DDU

Un article d'Erwan NEGRE, docteur en physique des lasers, qui travaille chaque nuit à l'aide de cet instrument exceptionnel.


I. Contexte général
La station d’observation LIDAR de Dumont d’Urville fait partie du réseau international de surveillance NDACC, « Network for the Detection of Atmospheric Composition Change ».
Ce réseau comprend plus de 70 instruments de mesures répartis sur autant de sites à travers le globe, afin d’observer les évolutions physico-chimiques de la stratosphère et d’en étudier l’impact sur le climat à l’échelle mondiale. 
Crédit photo : François MARIOTTI

Les instruments en place, Lidar mais aussi spectromètres, permettent d’obtenir des profils quotidiens de température ou de concentrations en vapeur d’eau, aérosols et ozone. Au niveau français, les Lidars se situent à l’Observatoire de Haute-Provence, à la Réunion et donc en Antarctique à Dumont d’Urville, et peuvent être classés en trois familles :

- Lidar Ozone Stratosphérique (Haute-Provence et Réunion) : dédié à la mesure de l’ozone stratosphérique, entre 10 et 50 km d’altitude, qui utilise la technique DIAL avec émission de deux longueurs d’onde à partir de deux lasers, un Nd :Yag et un exciplexe.

- Lidar Ozone Troposphérique (Haute-Provence et Réunion) : dédié à la mesure de l’ozone de la troposphère entre 4 et 17 km, utilisant sensiblement la même technique que le Lidar Stratosphérique.

- Lidar température/aérosols (Haute-Provence, Réunion, Antarctique) : exploite les effets Rayleigh et Mie par rétrodiffusion d'émissions lasers à 532 nm ou 355 nm. La mesure de vapeur d’eau est effectuée à partir des mêmes Lidars en ajoutant des voies de réceptions spécifiques.

Remarque : un Lidar ozone fut présent à Dumont d’Urville jusqu’en 2012 mais pour des raisons logistiques et de coûts (notamment la maintenance du laser exciplexe), son exploitation a été suspendue et ce Lidar rapatrié. Une éventuelle reprise de ce programme est évoquée pour 2018 ou 2019. En attendant, la surveillance de la concentration en ozone au-dessus de Dumont d’Urville se fait grâce au spectromètre SAOZ.

II. Le lidar à DDU

Objectifs : Les objectifs du programme 209 “NDACC Antarctique” consistent en la surveillance à long terme des études climatologiques et de processus sur les populations de particules (aérosols, Nuages Stratosphériques Polaires – PSC) et la composition chimique (incluant l’ozone stratosphérique) de la Haute Troposphère / Basse Stratosphère, initiée après la signature du protocole de Montréal. La thématique globale est celle de la chimie de l’ozone et de sa destruction, dans le contexte d’un climat en évolution. Les conséquences au sol en termes de rayonnement UV-B ainsi que les interactions ozone-climat, particulièrement concernant l’impact de l’augmentation des gaz à effet de serre sont également considérées.

Fonctionnement : Le Lidar à DDU est de type Rayleigh/Mie/Raman. Le Lidar utilise un phénomène optique particulier : la diffusion. Chaque molécule ou particule de l'atmosphère renvoie une partie plus ou moins importante du signal lumineux (par diffusion Rayleigh, Mie ou Raman), que l’on appelle signal rétrodiffusé. Ce dernier sera collecté à l'aide d'un télescope, et un traitement numérique adapté permettra d’obtenir un profil de diffusion en fonction de l'altitude. La figure suivante illustre de façon simplifiée le fonctionnement du Lidar à DDU.


Figure 1. Principe de fonctionnement du Lidar Rayleigh/Mie/Raman

En l’absence de toute particules ou aérosols, le signal Lidar obtenu décroit exponentiellement avec l’altitude, symbolisé par la courbe en pointillés sur la figure 1. En effet, en l’absence de particules, la rétrodiffusion n’est due qu’aux molécules de l’atmosphère, principalement azote et oxygène. Or la pression atmosphérique décroit exponentiellement avec l’altitude : moins de pression impliquant moins de molécules, le signal rétrodiffusé suit donc la tendance de la pression.

Nous constatons toutefois que le signal rétrodiffusé collecté au niveau du détecteur augmente dans un premier temps. En effet, dans les basses altitudes, le laser ne rentre pas dans le champ de vu du télescope, ce que le schéma laisse entrevoir. Lorsque le faisceau est entièrement dans le champ de vue du télescope, le signal reçu sur le détecteur va diminuer de façon exponentielle avec l'altitude, comme attendu. Enfin, lorsque le faisceau traverse une couche d'aérosol, le signal reçu sur le détecteur augmente du fait que ces particules de taille relativement importante vont rétrodiffuser une quantité plus importante de lumière que les molécules de l’atmosphère, à altitudes égales.
Spécificités :
Le lidar de DDU est composé d’un laser et de 12 détecteurs. Le laser est de type Nd-Yag, émettant dans l’infrarouge (1064nm) avec une puissance de 300mJ à une fréquence de 10 Hz. A l'aide d'un cristal doubleur et d'un cristal tripleur de fréquence, il est possible d’obtenir des longueurs d’ondes d’émission dans le visible (532nm, du vert) et dans l'ultraviolet (355nm). Notons d’ailleurs que la longueur d’onde la plus fréquemment utilisée à DDU est 532 nm, ce qui donne cette couleur verte au faisceau sortant de la station Lidar (voir figure 2).
Figure 2 - Crédit photo : Sylvain PALLAS
Pour la mesure d'aérosol, 5 détecteurs sont utilisés, centrés sur des longueurs d’onde spécifiques : 1064nm, 532nm parallèle voie haute, 532nm parallèle voie basse, 532nm perpendiculaire et voie Raman 607nm. 
Ce que l'on appelle parallèle et perpendiculaire est lié à la polarisation de la lumière. En effet, la lumière est un champ électromagnétique qui possède une direction de propagation, direction qui peut être modifiée par des particules diffusantes. En étudiant le rapport des signaux des deux voies, dont les polarisations sont respectivement parallèles et perpendiculaires à la polarisation du faisceau laser incident, on obtient un profil de dépolarisation qui va nous renseigner sur la sphéricité et donc la nature des particules diffusantes. On distingue également une voie haute et une voie basse.
Crédit photo : Sylvain PALLAS
La puissance lumineuse reçut diminuant de façon exponentielle, les détecteurs doivent donc pouvoir mesurer de très faibles puissances lumineuses pour les hautes altitudes mais également de très fortes puissances lumineuses pour les basses altitudes. Afin de compenser ce déséquilibre et éviter de saturer certains détecteurs, près de 90% du signal collecté sera injecté dans la voie haute et seulement 10% dans la voie basse. 


III. Exemple d’exploitation de mesures Lidar à DDU
La figure 3 est un exemple de ce que les chercheurs obtiennent à partir des mesures Lidar de DDU : un profil du coefficient de rétrodiffusion en fonction de l’altitude et de l’heure de la mesure.
Figure 3. Coefficient de rétrodiffusion en fonction de l'altitude et de l'heure











Le coefficient de rétrodiffusion peut être assimilé à la proportion d’aérosols/particules dans l’atmosphère, un coefficient égal à 1 signifiant leur absence. Cette mesure, réalisée le 30 Juillet 2012, donc au cœur de l’hiver à DDU, montre l’apparition d’une masse vers 18h à l’altitude de 10km, il s’agit d’un cirrus, nuage constitué de cristaux de glaces. Plus haut vers 20 km, apparait un fin filament qui s’avère être un PSC, ou nuage stratosphérique polaire. Ces PSCs sont très importants pour les chercheurs car s’y déroulent à leurs surfaces les réactions chimiques à l’origine de la destruction de la couche d’ozone.
Ce trou dans la couche d’ozone peut être directement observable à DDU, ce que montre la figure 4. La couche d’ozone se situe typiquement entre 20 et 40 km d’altitude aux basses latitudes et entre 10 et 40 km aux pôles. La figure ci-dessous retranscrit bien ces limites mais fait apparaitre une baisse importante d’ozone entre 12 et 20 km : le « trou » de la couche d’ozone. Cette bande correspond à une région ou les PSCs sont abondants, ce qui avait alerté les chercheurs sur le rôle de ces nuages dans la destruction de l’ozone. A noter qu’en 2008, le trou de la couche d’ozone au-dessus de DDU fut total : pendant quelques jours en Septembre, la protection anti-UV que constitue l’ozone avait entièrement disparue.
Figure 4. Concentration de l'ozone au-dessus de DDU en fonction de l'altitude. (Mesure du 26 Septembre 2012)

IV. Enjeux présents et futurs
Le lidar à DDU est essentiel pour de nombreuses recherches en cours ou à venir, citons à titre d’exemple :


- Mesure de la vapeur d’eau par lidar, pour étude des interactions cirrus-PSC.
- Validation des observations spatiales des aérosols
- Discrimination des différents types de PSCs pour affiner les modèles climatologiques polaires et estimer leur impact sur la couche d’ozone
- Etude des transports des aérosols d’origine anthropique depuis les basses et moyennes latitudes jusqu’aux pôles et de leur inclusion dans la dynamique du climat local en Antarctique.

4 commentaires:

  1. C'est impressionnant que le LIDAR utilise tant de domaines de la physique.
    Quels sont les différences entre les différentes diffusion Rayleigh, Mie ou Raman?

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    1. Les trois font référence à différents mécanismes modélisant un même phénomène, la diffusion, qui ne s'effectue pas physiquement de la même façon suivant la taille ou le type de particules:

      -La diffusion Rayleigh s'applique pour des diffusants très petits devant la longueur d'onde du laser utilisé (ici 532 nm, vert), typiquement les molécules de l'atmosphère. Ce mécanisme explique par exemple la couleur bleue du ciel.
      -La diffusion de Mie s'applique pour des diffusants macroscopique, comme des aérosols ou des poussières. Les diffusions Rayleigh et Mie sont dites "élastiques" car le photon diffusé a la même longueur d'onde (ou couleur) que le photon incident qui a excité le diffusant.
      -Enfin, la diffusion Raman concerne les molécules de l'atmosphère mais est une diffusion "inélastique": le photon diffusé a une longueur d'onde différente du photon incident (le photon incident dans notre cas est vert, 532nm). De plus la diffusion Raman est une diffusion beaucoup moins efficace que Rayleigh et Mie donc plus difficile à capter et étudier, bien que tout aussi intéressante car donnant des informations complémentaires.

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  2. Très intéressant votre article ... Plutôt technique mais très clair ... Question : vous effectué une mesure locale du trou d'ozone ... Comment obtientons ces fameuses cartes de l'Antarctique avec l'immense trou qui bouge au dessus du continent ? Des satellites qui utilisent la même methode de mesure ? Merci

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    1. Les cartes globales du continent sont en effet issues de données satellites utilisant des lidars embarqués ou des technologies similaires. Les lidars sols servent à affiner ces cartes car les satellites, s'ils ont une grande couverture spatiale, ont une résolution verticale relativement moyenne, au contraire des lidars sol. Ces derniers sont également très utiles pour étudier des phénomènes locaux liés à l'ozone comme par exemple à DDU, base qui se situe à la frontière du vortex polaire. Il est donc possible d'étudier la dynamique des échanges d'ozone intra-exter vortex, études qui peuvent ensuite être intégrées aux modèles globaux satellites.

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