Cette fois c'est Claire, notre médecin, qui prend la plume pour nous faire vivre l'exercice "rescue" effectué le 28 mai dernier en limite extérieure du périmètre de sécurité de l'époque avec le concours de l'ensemble du personnel de la Mission. Ce type d'exercice, comme ceux réalisés dans le cadre de la sécurité incendie d'ailleurs, sont indispensables pour gagner en réactivité et se préparer à faire face aux situations imprévues. Ici, pas de pompiers, pas de SAMU... juste nous.
L'exercice décrit met en scène Norbert, chef centrale apprécié et respecté de tous qui, on venait de l'apprendre au moment de l'exercice (mais nous y reviendrons à l'occasion d'un prochain article) se déclarait alors candidat, comme quatre autres membres de la TA69, à l'élection au poste de Onzta, dans le cadre de la MidWinter toute proche.
D'une grande bienveillance et toujours prêt à aider ses petits camarades, comme on peut le constater ci-dessus sur l'affiche de campagne de son parti "Utopia", il est aujourd'hui en mauvaise posture.
Mais rien n'est perdu. Il faut sauver le soldat Norbert!
Alerte à DDU !
Mardi 28 mai 2019 13h45, -20°C, temps
neigeux faiblement venteux. Au bout du monde, dans un village d’irréductibles
hivernants, retentit un appel radio :
« La radio, la radio de
Bertrand »
« Oui je t’écoute »
« Norbert est tombé dans le chaos,
on a entendu un craquement, ça saigne, il ne peut plus marcher » « On
est sur la banquise derrière Lamarck »
Heureusement, il s’agit d’un exercice.
Norbert : Chef centrale et première victime de l’exercice - Crédit photo : Bertrand Bonnefoy
En
cette période hivernale, les journées sont courtes. Dès que possible, en
fonction de la météo et de la charge de travail, les précieuses heures de
jour sont utilisées pour s’aérer sur la banquise qui s’est tant faite désirée.
Mais cela n’est pas sans risque. Si les "sondages banquise" nous assurent une
épaisseur suffisante pour « marcher sur l’eau », les fissures entre 2 plaques peuvent être
cachées par des ponts de neige : on peut mettre le pied au mauvais endroit
et se « faire une cheville ». Par moins 20° et sans équipement cela
peut vite tourner au drame. C’est pourquoi il existe des règles de sécurité
avec lesquelles on ne plaisante pas ici.
Revenons à notre exercice. Pendant que
Bertrand, témoin de l’accident, donne les premiers soins à Norbert et effectue
les gestes de sauvetage appris en début de mission (arrêt du saignement, lutte
contre l’hypothermie), l’alerte générale est lancée. Tout le monde se retrouve
au séjour. Un secours banquise ne s’improvise pas et cet exercice était
l’occasion de tester la procédure mise en place sur la base.
Au séjour, on
écoute attentivement la radio, particulièrement Maëlle, 2nde centrale, désignée
pour faire une main courante de l’intervention, et d’autant plus touchée
par « l’accident » qu'il s’agit de son chef bien aimé.
Crédit
photo : Gaétan Heymes
Depuis notre arrivée, un petit groupe
d’hivernants volontaires a été formé au secours. Ce jour, Aurélien et Tony sont
les premiers secouristes à se présenter au séjour, prêts à partir. Suivant les
consignes du médecin, ils passent prendre le matériel à l’hôpital et partent à
la rescousse de notre presque doyen (après le dista...).
Tony, notre
boulanger, arrive sur les lieux de l’accident : « Tiens bon
Norbert ! » C’est qu’il a besoin du chef centrale pour faire chauffer
ses fours à pain ! - Crédit photo : Bertrand Bonnefoy
Aurélien,
l'électrotechnicien, utilise la fiche réflexe pour faire un bilan rapide de
l’état de la victime. Norbert a déjà
reçu des premiers soins par Bertrand : couverture de survie et garrot de
fortune pour limiter le saignement.
Crédit
photo : Bertrand Bonnefoy
Encore plus en Antarctique, la prise en
charge du froid est l’enjeu majeur d’un secours. Après avoir mis la victime en
lieu stable et effectué les gestes vitaux : celle-ci doit être isolée du
sol et couverte le plus rapidement possible. En effet, si le froid tue en
lui-même, chez le blessé il est encore plus dangereux. Ainsi une victime immobile
va se refroidir beaucoup plus vite. De plus, en tant qu’animal à sang chaud, un
humain qui saigne se refroidi. Enfin, par des mécanismes biologiques et
biochimiques, le froid provoque des troubles de la coagulation sanguine et une
acidose qui aggravent le saignement et donc l’hypothermie : il s’agit d’un
cercle vicieux appelé la « triade létale » dans le jargon
médical.
Mise en sécurité
et prévention de l’hypothermie par le 1er binôme de secours. Crédit
photo : Bertrand Bonnefoy
Pendant
ce temps, une 2e équipe de secours est déjà sur la route avec le
médecin et du matériel de secours plus lourd, comprenant le moyen
d’évacuation : la Pulka = sorte de traineau glissant sur la banquise
et permettant le transport de matériel ou d’une personne.
Virgil et
Douglas, nos 2 ornitho, à l’attelage de la pulka de secours. Ils ont l’habitude
de traverser cette zone pour aller à la manchotière. Mervyn
« l’instrum » est 3e haleur et prend la photo. Crédit photo: Mervyn Ravitchandirane - IPEV
La 2e équipe à
rejoint la 1ère : Aurélien rend compte de la situation et des gestes effectués.
Crédit
photo : Mervyn Ravitchandirane - IPEV
Virgil prépare
la pulka. En arrière plan, Charles donne les drogues au médecin afin de soulager
Norbert. On aura pris soin de mettre des chaufferettes dans les sacs de secours
avant de partir : un oubli et le gel rendrait tout médicament
inutilisable - Crédit
photo : Mervyn Ravitchandirane - IPEV
Norbert est
soulagé grâce aux antalgiques puissants :
sa « fracture » peut
être réduite et immobilisée par une attelle. Sur ce terrain glacial, la
difficulté sera d’administrer des drogues par voie intraveineuse (perfusion).
On pourra alors utiliser la voie orale, intramusculaire voire intranasale, même
si celles-ci sont moins précises et parfois plus lentes à agir - Crédit
photo : Mervyn Ravitchandirane - IPEV
Le blessé ne
peut pas marcher. Nous utilisons une pulka adaptée pour le transport d’une
personne allongée. Pour les (trop) grands, il faut bien couvrir les pieds qui
dépassent ! Une fois le blessé bien emmitouflé et bien calé, les secouristes n’ont
plus qu’à faire jouer leur muscles pour ramener la victime jusqu’à un point
accessible par véhicule. Attention au passage des bosses qui peuvent être bien
désagréables quand on est harnaché au fond d’une pulka et qu’on ne voit que le
ciel - Crédit
photo : Bertrand Bonnefoy
Retour vers
l’île des Pétrels à travers la banquise - Crédit
photo : Mervyn Ravitchandirane - IPEV
Pendant ce temps une équipe de renfort brancardage nous a
rejoint, en effet, afin de
ménager la fatigue et l’efficacité des secouristes, il est important de faire
tourner les équipes. Une équipe d’aide médicaux se prépare également à
accueillir le blessé à l’hôpital : mise en route de chauffage d’appoint et
du matériel d’urgence, préparation de perfusion et de drogues à la demande du
médecin, préparation de l’appareil de radiologie et des automates de biologie.
Des formations et exercices réguliers sont absolument nécessaires pour avoir
une équipe de non professionnels capable de réagir correctement en cas
d’accident.
Changement de
brancardiers ! Dans le cadre de l’exercice , on change aussi de victime,
afin qu’un maximum d’hivernants puissent connaitre la sensation d’être brancardé…
espérons que ça nous rendra encore plus prudents, les brancardiers regrettent
alors la bonne cuisine de Bertrand… ! - Crédit photo :
Gaétan Heymes
Crédit photo: Bertrand Bonnefoy
Crédit photo: Bertrand Bonnefoy
Transfert de la
victime à bord du kubota dédié au secours et surnommé le « reskubota » Crédit
photo : Bertrand Bonnefoy
« DDU
DDU de l’équipe de secours : on arrive ! » - Crédit
photo : Bertrand Bonnefoy
Notre victime a muté : Virgil a remplacé Norbert. Il
est tenu au chaud grâce à la couverture chauffante électrique branchée sur
l’allume-cigare du kubota.
Crédit
photo : Gaétan Heymes
Le reskubota
garé devant la passerelle de Géophy, la passerelle du bâtiment 42 où se trouve
l’hôpital étant encombrée par une congère - Crédit
photo : Mervyn Ravitchandirane - IPEV
Brancardage… arrivés à la base. Une équipe est prête à porter le blessé jusqu’à l’hôpital,
mais les passerelles étroites et les congères de neige ne nous facilitent pas
la tâche ! Crédit
photo : Mervyn Ravitchandirane - IPEV
Arrivée à
l’hôpital, au rez-de-chaussez du bâtiment 42, le dortoir d'hiver de la base. L’équipe
d’aides médicaux est prête à recevoir le patient - Crédit
photo : Gaétan Heymes
Le patient arrive alors au bloc opératoire, aussi salle de
« déchocage » qui permet de traiter les urgences vitales. Il y a eu peu
de photos car les aides sont très affairées autour du patient : Bastien le
plombier prend les constantes (pouls, tension, température…), Grégoire le glacio
surveille le temps et note les évènements sur un tableau, Jérémy tech-météo
perfuse (sur un bras d’exercice) avec l’aide de Guillaume le lidar, Nicolas
informaticien prépare les drogues , Gaétan responsable
météo stérilise le matériel chirurgical, Patrice gérant postal fait les
radio, Maëlle et Tony préparent une attelle plâtrée. Cela ressemble à un joyeux
bazard : pourtant, en moins de 40 minutes depuis son arrivée à
l’hôpital « Norgil » a été pris en charge et plâtré par une équipe de
non professionnels, défiant toute concurrence aux plus grands hôpitaux
métropolitains.
La seule photo
prise au bloc une fois la bataille passée : le pied a été sauvé !
C’est beau la vie ;)
Virgil et Claire, médecin et accessoirement rédactrice du blog!
Crédit
photo : Gaétan Heymes
Merci à toute la base d’avoir participé avec entrain à cet
exercice. Cela a aussi été l’occasion d’une bonne après-midi cohésion, tout en
gardant à l’esprit l’enjeu d’une telle préparation : mettre toutes les
chances de notre côté pour prendre en charge un éventuel camarade en
difficulté.