En ces premiers jours du mois de septembre, il est temps de faire un petit point d'étape de cette aventure hors du commun que constitue un hivernage en terre Adélie.
Petite question amis lecteurs : Vous êtes-vous demandés dans combien d'endroits au monde, un groupe de 21 personnes, qui ne se sont pas choisies, qui ne se connaissaient pas auparavant, ne partageant pas les mêmes passions ni les mêmes envies, n'ayant pas le même âge (l'amplitude de la TA 72 va de 19 à 56 ans), ni la même expérience de vie, ni le même vécu professionnel, doivent vivre ensemble, dans une ambiance de huis clos intégral, durant huit longs mois d'hiver ? Le tout sans pouvoir s'en aller car ni bateau, ni avion ne peuvent venir. L'isolement total sur terre.
A part une poignée de bases en Antarctique, ça ne doit pas exister !
C'est cela un hivernage en terre Adélie.
Vue de la base DDU lors d'une sortie de nuit - Nicolas PERNIN/ Institut Polaire Français |
L'hivernage à Dumont d'Urville se décompose schématiquement en trois phases :
1/ La phase initiale, de début mars (départ du dernier bateau) à mi-juin, est celle de l'entrée en hivernage. Chacun doit trouver ses marques, s'adapter au nouveau rythme de travail après l'intense campagne d'été. L'euphorie est bien présente, on a tellement attendu le départ des campagnards d'été.....On est venu pour vivre cette aventure.
Météorologiquement parlant, les jours raccourcissent, l'obscurité s'installe, le froid et les vents catabatiques (qui descendent des hauts plateaux du centre du continent) se font plus présents. On glisse doucement mais surement dans l'hiver austral.
Chacun accomplit les travaux qui sont les siens selon le programme de travail qui lui a été confié par son employeur. C'est le temps des réglages et de la confrontation à son choix (mais pourquoi ai-je candidaté ?). C'est aussi la période des mille et une idées, l'expression de toutes les envies et de tous les défis personnels que l'on a imaginé accomplir durant cet hivernage.
Sortie de nuit et aurore polaire - Nicolas PERNIN/ Institut Polaire Français |
2/ La second période de l'hivernage s'ouvre avec la Midwinter (mi-juin) pour s'achever fin août avec le festival du film antarctique. Entretemps, il y aura aussi eu les jeux antarctiques (toutes les bases antarctiques et subantarctiques) suivis des jeux australiques (les seules bases françaises). Le travail se poursuit, alternant activités extérieures et intérieures au gré de la situation météorologique. Seuls les empereurs nous tiennent compagnie.
Le cap du jour le plus court (solstice d'hiver le 21 juin) a été franchi. Les habitudes de vie ont été prises, chacun a trouvé son rythme (du moins on l'espère), ses relations et ses affinités, son mode de fonctionnement, parfois collectif, parfois plus personnel. La fatigue et l'usure de l’hivernage commencent à peser sur les organismes. Le sommeil est souvent plus complexe et perturbé. Les tensions s'accumulent et les petits irritants du quotidien sont moins bien supportés. Se lever le matin est plus difficile, il fait froid, il fait nuit. Les contraintes et les règles qui régissent la sécurité et le bien-vivre ensemble pèsent davantage sur le quotidien, la patience diminue. C'est une période humainement sensible.
Mais c'est aussi le temps de la banquise solide et constituée. Les longues sorties de plusieurs heures sont enfin possibles, les jambes se dégourdissent, les horizons s'élargissent, la boite à souvenirs se remplit.
Seconde sortie au rocher du débarquement - Nicolas PERNIN/ Institut Polaire Français |
3/ La troisième période de l'hivernage est celle dans laquelle TA 72 vient de rentrer. De début septembre à fin octobre, c'est le temps de la préparation de la prochaine campagne d'été. L’opérationnel s'accélère à nouveau, les animaux reviennent progressivement (oiseaux dont manchots Adélie et phoques) et viennent peupler un panorama occupé depuis plusieurs mois par les seuls empereurs.
Il faut tracer la piste sur la banquise entre DDU et le continent pour le passage des engins qui vont transporter le carburant et les matériels nécessaires aux futurs raids vers la station franco-italienne Concordia (le premier aura lieu mi-novembre). Il faut dé-hiverner une partie de la base Robert Guillard prise dans ses huit mois de neige et de glace, préparer la piste pour le premier avion qui, en arrivant fin octobre, marquera la fin de l'hivernage.
Sur le plan scientifique, c'est la course avec une accélération progressive et constante. Phoques et oiseaux, incluant empereurs et Adélie, vont occuper les hivernants non dédiés aux taches techniques ci-dessus évoquées.
Zone de chaos au milieu des gros bergs - Céline DUPIN/TAAF |
Cette troisième phase est généralement une phase de retour de l'euphorie. Les hivernants sont très occupés, c'est aussi le temps pour tenter de réaliser tout ce qui était sur la "to-do list" et qui n'a pas encore été vécu. Ceux qui aspirent à la fin du séjour se mettent à compter en semaine, puis en jours. Certains se projettent déjà sur la sortie du continent et dessinent les projets : Voyage en Nouvelle Zélande, séjour long en Australie pour y travailler ("working holiday"), nouveau travail en métropole ou ailleurs, retrouver la famille et les amis.....
Du
point de vue managérial, c'est une période de danger, lorsque la
fatigue et l’usure des hivernants rencontrent une accélération de
l'opérationnel. Le risque accidentel n'est jamais loin.
Une belle fracture de gros berg - Céline DUPIN/TAAF |
Si l'année est propice (et c'est le cas en ce moment), la banquise est encore solide et bien établie. Les longues sorties sont toujours possibles et les défis s'enchainent, tout en gardant un œil vigilant sur la sécurité. Pour la TA 72, outre le traditionnel déplacement jusqu'au rocher du débarquement, celui vers l'ilot Fram, vers cap géodésie et puis la sortie au milieu de gros bergs à la recherche du passage vers l'Est, ont constitué des réalisations attendues, un peu comme quand on coche les actions accomplies (ça c'est fait ! 👍).
L'iceberg "Tiramisu" - Céline DUPIN/TAAF |
Le premier avion marquera la fin de l'hivernage comme de l'aventure humaine et personnelle que cette expérience hors du commun représente. Il est annoncé le 28 octobre (sous réserve habituelle d'une météo favorable. "En Antarctique, pas de pronostic" dixit les anciens).
Nous sommes donc au 3/4 de notre hivernage, six mois sur huit se sont écoulés. Ça peut sembler long mais à bien y réfléchir, c'est passé finalement très (trop ?) vite. Il reste moins de deux mois désormais, qui eux aussi vont passer très vite. Deux petits mois avant d'accueillir à nouveaux les "intrus" que sont les campagnards d'été (c'est de l'humour au second degré les amis campagnards). Il est vrai que s'ils arrivent avec des fruits et des légumes frais, accompagnés de quelques laitages, ça se passera particulièrement bien (oui oui, c'est un message explicite et pas au second degré celui-là).
L'iceberg "ile flottante" en cours de retournement - Céline DUPIN/TAAF |
La belle aventure en Antarctique ne sera pas pour autant terminée puisque le départ des hivernants s'échelonnera de fin novembre 2022 pour les premiers partants, à début février 2023 pour les derniers. Quant à la vie de la TA 72, elle deviendra ce que les hivernants en feront. Nous avons échangé il y a quelques mois avec les anciens de la TA 26 (1975/1976) qui se réunissaient. Sympa de les voir et de pouvoir comparer nos hivernages respectifs.....
Merci toujours pour vos nouvelles. Soyez prudents et forts pour cet fin d'hivernage.
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