Je l'avais brièvement évoqué dans mon avant-dernier article consacré aux manchots empereurs, la polynie est un sujet important pour le monde animal à DDU mais aussi pour les activités humaines.
Commençons par le commencement : Qu'est-ce qu'une polynie ?
En Arctique ou en Antarctique, c'est un espace d'eau de mer, libre ou recouvert d'une très faible pellicule glacée, entouré de banquise. Une sorte de lac au milieu des glaces. Le mot est d’origine russe signifiant "trou dans la glace".
Évidemment, comme aucun bateau ni avion ne circule dans notre environnement en hiver, sauf à ce que la polynie ne se trouve à portée de jumelles, nous devons nous en remettre aux images satellitaires pour les percevoir. Encore faut-il que le satellite puisse passer au moment où la couche nuageuse est absente et que la luminosité soit suffisante. Autant vous dire que durant l'hiver austral, nous n'avons aucune image et donc aucune idée de l’existence, de la position et du nombre de polynies.
Avec l'allongement de la durée d’ensoleillement, depuis début août, nous commençons à recevoir les images satellitaires. Celle ci-dessous qui date du 11 août, nous permet de percevoir presque 500 km de banquise face à nous mais aussi à 80 km, une polynie naissante.
Adrien COLOM/Météo France |
Trois jours plus tard, une nouvelle image satellitaire est reçue, nous permettant de confirmer une polynie à 80 km de la base. Ce n'est la seule mais elle est de très belle taille. C'est une polynie habituelle de DDU, récurrente année après année.
Les polynies ont trois explications :
1/ En raison de courants marins chauds qui remontent des profondeurs des océans vers la surface, l'eau se trouve à une température supérieure au point de congélation. La banquise ne peut se former car l'eau ne gèle pas. On parle de cause "thermodynamique".
Adrien COLOM/Météo France |
2/ Une seconde explication réside dans un processus d’accumulation d'eau très salée, rendant plus difficile la congélation d'eau de mer (sel et glace ne font pas bon ménage). Ce phénomène est plutôt observé dans les zones de production intensive de glace, conduisant à un rejet puis une accumulation de saumure via certains courants marins. On parle de "polynie à chaleur latente".
Ci-dessous, une image satellitaire du 21 août (postérieure à la tempête qui nous a frappé le 18 août), montrant très nettement le rapprochement de la polynie de DDU, à moins de 15 km (il y avait un léger voile nuageux le jour du passage du satellite).
Adrien COLOM/Météo France |
3/ Dernière cause, en lien direct avec ce que je viens de vous indiquer : les polynies formées en raison des vents catabatiques, conduisant à la fragmentation de la banquise. C'est typiquement le phénomène que nous observons à DDU.
Pour rappel, un vent catabatique est, étymologiquement parlant, un vent qui descend la pente. Il s'agit dans les faits, d'un principe de physique basique qui conduit une masse d'air froid, devenue de ce fait plus lourde, à descendre le relief par un simple phénomène de gravité.
Or, en Antarctique, le centre du continent est élevé (de 3000 à 4000 m d'altitude) et froid (jusqu'à -80°C). Les vents froids qui ont pris de la vitesse tout au long de la pente, sont donc puissants depuis le centre du continent vers la côte et créent par cette seule force, une fracture de la banquise la plus fragile (celle de l’année en général) et la pousse vers le large. Ce qui laisse la place à une étendue d'eau libre.
Cette polynie pourra (ou pas) se refermer en fonction de la température de l'air, de l'eau et des vents.
Ci-dessous, au 26 août, une petite polynie s'est encore approchée de DDU, elle est désormais à 12 km.
Adrien COLOM/Météo France |
Bien évidemment, les trois causes peuvent se cumuler. Il est en revanche établi qu'en Antarctique oriental du moins (là où se situe la terre Adélie), les polynies ne sont en rien liées au réchauffement climatique (qui n'y est pas constaté pour le moment).
Les polynies jouent un rôle majeur dans le développement du monde animal. Le manchot empereur est tributaire de la polynie pour aller se nourrir et revenir nourrir son poussin. Plus la polynie est éloignée, plus le manchot devra se déplacer sur la glace avant de rejoindre son "garde-manger" et plus il mettra de temps pour revenir nourrir sa descendance. A l’extrême et ça c'est déjà vu, une absence de polynie ou une polynie très éloignée, conduisent à une surmortalité des poussins tués par la faim.
Mieux, la polynie, grâce à la pénétration de la lumière dans l’eau, permet d’amorcer la chaine alimentaire avec le développent rapide et conséquent du plancton, aliment de base des animaux marins.
Pour l'homme, la polynie est synonyme de possibilité de navigation. C'est d'ailleurs un élément important, recherché par l'Astrolabe pour pouvoir effectuer ses premières rotations lorsque la banquise est encore relativement soudée.
Finalement, les seuls qui potentiellement peuvent souffrir des effets de la polynie sont les hivernants de la base dont le périmètre d’évolution sur la banquise peut drastiquement se réduire. Pour le moment, tout va bien de ce côté là.
Passionnant cet article. Merci. Moi je ne connaissais que les pollinies !
RépondreSupprimerPomme63.