lundi 22 août 2022

L'igloo de DDU

L'hiver est bien présent à DDU et comme tout hiver qui se respecte, il apporte son lot de neige. Si vous combinez neige et vent, ce qui est fréquemment le cas en Antarctique, vous obtenez des.....congères (neige tassée et durcie par le vent). Comme celle ci-dessous, derrière le bâtiment technique. De fort belle taille.

Jean-Philippe GUERIN/TAAF

Alors forcément, une congère ça donne des idées. Il y a ceux qui partent du toit et s'en servent comme piste de luge et puis ceux qui décident de la creuser pour aménager un igloo. Difficile d'imaginer qu'il y a un igloo là-dessous, non ?.

Jean-Philippe GUERIN/TAAF

La joyeuse équipe découpe les blocs de glace, sculpte, façonne, rabote.....

Jimmy ALLAIN/Institut Polaire Français

...ajuste et creuse pour réaliser la cavité, avant d'assembler les blocs pour réaliser la fosse à froid (siphon d'entrée qui vise à bloquer le froid en partie basse et permettre la conservation de la chaleur à l'intérieur). Pourquoi Jean-Yves me direz vous ? Aucune idée, c’est un morceau de bois trouvé à la menuiserie. Preneur de l'explication des anciens.

                            Paul Michaud/Institut Polaire Français

Après de nombreuses heures de travail, le chantier est achevé. Il ne reste plus qu'à procéder à l'inauguration et comme pour toute inauguration qui se respecte, il y a le vin d'honneur...

Paul Michaud/Institut Polaire Français

 ...ou plutôt la bière d'honneur. Le volume de participants sur la photo vous donne une idée de la taille de la cavité. Un sacré boulot réalisé qui a demandé quelques heures de travail quand même.

Bastien LERAY/Institut Polaire Français

Cerise sur le gâteau, un hivernant a fêté ses 27 ans (ça doit quelque chose comme 10 ans qu'il a 27 ans 😂) par un diner aux chandelles suivi d'une nuit dans l'igloo le jour de la tempête "Vianney" (174 km/h). Il n'a pas été dérangé par le vent et comme il avait été prévoyant, il a eu besoin de sa pelle le lendemain matin pour ouvrir le sas de sortie où la neige s'était accumulée.

Un beau travail et une belle expérience. Bravo aux bâtisseurs.

mercredi 17 août 2022

La base et les aurores australes

Après un premier article publié le 24 mars dernier (que je vous invite à relire), vous avez été nombreux à solliciter un second volet de photographies sur le sujet des aurores australes à Dumont d'Urville. D'où l'idée d'associer ces deux points.

C'est avec plaisir que je me suis donc plongé dans les archives des années précédentes pour établir une sélection de photographies que je vous livre, sans toutefois disposer des crédits photos (les auteurs qui se reconnaitront m'en excuseront).

On commence par une vue vers l'est depuis la plateforme Lucie. Au premier plan, le dortoir, à droite le séjour, au fond la centrale.

Institut Polaire Français

Mi-août, nous en profitons encore car nous savons qu'avec l'allongement des journées (on vient de passer les 7h entre le lever et le coucher du soleil), la possibilité d'en observer va désormais diminuer très rapidement (dans un mois on sera à 12h).

Vue face au nord/nord-est, éclairé au centre le bâtiment qui abrite les bureaux techniques de l'IPEV et la station météo avec son mat d'instruments.

Institut Polaire Français

Vue face au nord/nord-ouest, le dortoir. Pour être tout à fait honnête, il ne reste plus que quelques passionnés qui guettent, s'habillent chaudement et passent du temps à l’extérieur pour observer et photographier. Il nous arrive certaines nuits, d’observer les aurores depuis notre chambre, bien au chaud. Serions-nous blasés ?😏

Institut Polaire Français

Face au nord/nord-est, la fameuse plateforme Lucie, un point d'observation parfait. A droite, le bâtiment Géophy (pour géophysique), puis le dortoir (l'hôpital au niveau inférieur) et tout au fond dans l'obscurité, le hangar avion de la piste du Lion.

Institut Polaire Français

Le même secteur photographié avec un peu plus de recul.

Institut Polaire Français

Face à l'est, à gauche le dortoir/hôpital, à droite le bâtiment Géophy et au fond la centrale.

Institut Polaire Français

Deux vues face au nord/nord-est, au dessus de la piste du lion et son hangar avion.

Institut Polaire Français


Institut Polaire Français

Et pour finir, une vue éloignée de la base alors que le Lidar (laser) est en action de tir (le rayon vert).

Institut Polaire Français

De bien belles images que l'on doit au talent et à l'expérience des photographes. Pour ceux qui n'ont jamais vu d'aurores polaires en réel, qu’elles soient boréales ou australes, je me dois quand même de vous dire que la vision que nous en avons en les observant, n'est pas identique aux clichés. Dans la réalité, l'aurore est beaucoup plus floue et diffuse. C'est le talent du photographe et notamment la combinaison du temps d'exposition et des différents réglages de l'appareil qui permet d'atteindre de tels résultats. 

Une raison de plus pour admirer le travail des auteurs de photographies d'aurores polaires.

lundi 15 août 2022

Le passage à l'Est

Début novembre 2021, un important vêlage du glacier de l'Astrolabe a donné lieu à la formation de très grands icebergs qui désormais s'étalent sur une bonne dizaine de kilomètres à l’est et au nord-est de la base. Ces "gros bergs" barrent l'accès et la vue vers l'est du continent Antarctique. Il n’en fallait pas plus pour en constituer un des objectifs de l'hivernage : allez voir ce qui se passe derrière !

Mais ce n'est pas facile pour des raisons de sécurité. Outre une banquise en mouvement sous l'effet des marées et de la houle créant des cassures, des rivières et des zones de chaos, c'est la chute de blocs de glace depuis ces mastodontes qui demeure le danger plus redouté

Après une première tentative infructueuse en juin dernier pour cause de sécurité (il faut parfois savoir renoncer), après un travail sur cartes satellitaires pour essayer de localiser les brèches entre les bergs, la météorologie se présentant favorablement, nous avons décidé d'y retourner le dimanche 14 août.

Pas moins de douze volontaires, la sortie "gros bergs" fait recette.

Céline DUPIN/TAAF

Départ en début de matinée pour nous donner le maximum de temps, équipements grands froids de rigueur car on dépasse les -21°, vent faible et soleil de la partie.

Pendant ce temps-là, le reliquat de l'équipe assure les astreintes indispensables au bon fonctionnement de la base (centrale électrique, équipe pompiers, équipe de secours, météorologie, radio, cuisine).

Emmanuel LINDEN/Météo France

Voici un "gros berg" isolé. Un mastodonte de glace dont la partie visible émergée représente à peine de 1/7 à 1/9 du volume total. Imaginez ce qu'il peut y avoir sous l'eau.

Bastien LERAY/Institut Polaire Français

Le premier travail consiste donc à repérer sur carte un passage possible entre deux bergs. Pour des raisons évidentes de sécurité, il est hors de question que le passage soit étroit de type canyon très encaissé. Une fois cette condition acquise, il faut vérifier in situ l'état des parois et s'assurer que la banquise au niveau du passage permet un franchissement sans risque de chute ou de blessure.

Céline DUPIN/TAAF

Dernière condition enfin, on franchit le défilé par binôme et sans s'arrêter, avec distance de sécurité entre les équipes, pour diminuer les conséquences d'un potentiel incident.

Bastien LERAY/Institut Polaire Français

 Mais que c'est beau et grandiose !

Bastien LERAY/Institut Polaire Français

Et voilà le moment tant attendu par les participants : le débouché vers l'Est et la vue sur la partie orientale du continent Antarctique, au delà du glacier de l'Astrolabe ! L'immensité blanche à perte de vue. Une banquise plus plane sans doute explicable car protégée de la houle par les "gros bergs".

Céline DUPIN/TAAF

Une photo pour la postérité et il est temps de rentrer car après quatre heures de sortie, il commence sérieusement à faire froid et il reste une bonne heure de trajet retour. S'agirait pas que l'hypothermie gagne les doigts de pieds ou de mains, ni le nez de quelques-uns.

Bastien LERAY/Institut Polaire Français

Le retour se fait en ordre dispersé, au rythme de chacun mais toujours à vue car si la sortie est collective, l’effort est toujours individuel. C'est majestueux, non ?

Emmanuel LINDEN/Météo France

Il reste à organiser une seconde sortie pour........tous ceux qui sont restés par obligations professionnelles sur la base et nous ont suivis à la radio. On fait quand même des trucs sympas dans cet univers blanc et froid.

La station météorologique de DDU

Les observations météorologiques en terre Adélie sont aussi anciennes que la présence de l'homme dans ce secteur. Les données de la station sont continues depuis 1956. Il faut dire que dans ce territoire aux conditions extrêmes, il y a tout ce qu'il faut pour ravir un météorologue passionné.

Mais la météorologie, avant les modèles, les observations, les radio-sondages ou les prévisions, ce sont d'abord des femmes et des hommes. 

Chaque année, c'est en décembre lors de la seconde rotation de l'Astrolabe, que équipe entrante et équipe sortante de Météo France se croisent et se transmettent les consignes. L'échange  est essentiel pour humblement pouvoir appréhender les spécificités météorologiques de l'Antarctique, à commencer par les vents catabatiques et la banquise (une spécificité locale qui ne se retrouve dans aucune autre station météo française) .

Trois personnels de Météo France, un ingénieur et un technicien prévisionnistes complétés par un technicien "instruments", forment le trinôme qui pendant une année va veiller aux destinées de la station météorologique française la plus australe du globe.

Les entrants et les sortants. De G à D : Yann - Mickaël - Bertrand - Laura - Emmanuel - Adrien / Météo France

Le B.A.BA de leur job ? Comme pour n'importe quelle autre station de Météo France dans le monde, collecter les multiples informations (vents, températures, pression atmosphérique, hygrométrie, visibilité....) afin d'alimenter les puissants calculateurs des modèles informatiques basés à Toulouse qui permettent de réaliser les prévisions météorologiques.

Emmanuel au gonflage du ballon - Adrien COLOMB/Météo France

Pour cela, en complément des observations satellitaires, l'outil de base demeure le lâcher du ballon de radio-sondage. Tous les jours de l'année à heure fixe (0h UTC), l'équipe suit le rituel du gonflage, de l'initialisation de la sonde et de la fixation de la sonde au ballon (s'agirait pas de la perdre en cours d’ascension, ce serait ballot...!).

Adrien au lâcher de ballon - Emmanuel LINDEN/Météo France

Le moment du lâcher peut s’avérer plus ou moins "sportif" selon les conditions de vent.....Seule exception de sécurité au lancer quotidien : lorsque le vent moyen dépasse les 50 Kt (95 km/h). Inutile de risquer la chute du lanceur, l'éclatement du ballon ou la destruction de la sonde par percussion avec le sol.

Si tout va bien, le ballon monte en communiquant les données en direct à la station, pour finir par éclater en moyenne à 20 km d'altitude.

Les observations techniques et visuelles plus classiques au sol complètent la collecte de données.

L'abri de mesures à DDU - Jean-Philippe GUERIN/TAAF

Petite particularité de la campagne d'été en terre Adélie : Une piste d'aviation éphémère est tracée sur le continent et une station météorologique est mise en œuvre pour fournir aux pilotes les indications nécessaires au poser. C'est un des domaines d'activité de Bertrand en charge de l'entretien et la maintenance de tous les instruments de mesure qui, comme vous pouvez vous en douter, souffrent énormément des conditions extrêmes.

La station météorologique de l'aérodrome à D10 - Météo France

Pour nous "adéliens", les prévisions biquotidiennes que la station délivre sont essentielles. Elles permettent de planifier les activités extérieures, qu'elles soient techniques ou scientifiques, ainsi que les sorties de la base. Vents catabatiques, "jour blanc", "chasse-neige", grands froids, houles et marées sont autant de dangers que l'on ne peut prendre à la légère. La sécurité prédomine. Pas question de se lancer dans une longue sortie si un doute météorologique existe. Le travail des prévisionnistes est donc permanent et très attendu. Une grosse responsabilité sur leurs épaules.

Emmanuel au bureau météo de la base - Jean-Philippe GUERIN/TAAF

Pour conclure, séquence mémorielle en hommage au météorologue André Prudhomme décédé en 1959 après avoir disparu sur l'ile des Pétrels dans le secteur du cap des barres. A moins de 300 mètres des bâtiments, il a sans doute succombé à une chute dans l'océan, son corps n'ayant jamais été retrouvé. Une croix marque le dernier emplacement où il fut aperçu. C'est un lieu de mémoire pour tout météorologue arrivant et un rappel pour tous, des dangers y compris sur l'ile des Pétrels.

Adrien et Bertrand à la croix Prudhomme - Jean-Philippe GUERIN/TAAF

Une présence et une mission indispensables, autant pour Météo France que pour les adéliens.

vendredi 12 août 2022

Engins en terre Adélie

Si les conditions de vie et de travail sont extrêmes en Antarctique pour les humains, elles le sont également pour les engins qui nous sont indispensables. Petit florilège de photos insolites puisées dans les archives de la terre Adélie au cours des douze dernières années. 

Petite précaution : comme les photos ne sont pas légendées, difficile de situer le lieu et la date exacts mais l'objectif est surtout d'illustrer mon propos quant aux difficultés rencontrées.

Commençons par les rigueurs de l'hiver et imaginez devoir faire démarrer votre voiture après l'avoir retrouvée au petit matin dans ce état-là : pas certain que vous soyez à l'heure au bureau 😂.

Institut Polaire Français

Pas pratique mais beau comme une sculpture sur glace. Bon ok, il y a un peu de boulot pour remettre tout ça en état de marche, mais parole de Dista, au final ça fonctionnera. Hommage aux mécaniciens de l'IPEV (des orfèvres).

Institut Polaire Français

Poursuivons par les incidents de parcours. Ça, c'est une dameuse de marque Kässbohrer en action traditionnelle (ici, on dit un Kass, c'est plus pro). Ça nous sert à tracer les pistes (mais non, pas les pistes de ski.....quoique !) et déneiger les axes de la station. "Deutsche qualität" 👍.

Institut Polaire Français

Et ça, c'est quand tu perds le contrôle, tu ne passes pas à l'endroit habituel et reconnu ou que tu n'as pas bien évalué la solidité de la glace. Rien de grave. Quelques bonnes élingues, un bon gros tractopelle, un peu de jus de cerveau pour ne pas aggraver la situation, un petite révision à l’issue et ça repart. "Deutsche Qualität" on vous dit ! 

Petite précision complémentaire d'un "ancien" : ça date de 2000, ça se passe au cap des barres (à proximité de la croix Prudhomme), il a fallu 48h et beaucoup de sueur pour le remettre sur ses chenilles. Mais il a fait la saison de raid vers Concordia. Ils sont forts ces mécanos !

Institut Polaire Français

Bon d'accord, là ça va être un peu plus compliqué. Il y a sans doute un peu plus de boulot pour le remettre en état. Mais...."Deutsche qualität". Alors ? 

Parole "d'ancien", cette photo n'a pas été prise en terre Adélie. Elle illustre toutefois le danger permanent de l'environnement hostile et les précautions qu'il faut prendre pour pouvoir travailler en sécurité. Hommage aux pilotes.

Institut Polaire Français

Même l'Astrolabe n'est pas épargné. Il faut dire que décharger par bâbord et à la grue, un tracteur du raid de plus de 20 tonnes, avec le porte-à-faux ainsi généré, ça créé un peu de gite au bateau. Manœuvre très délicate.

Institut Polaire Français

Et puis, il y a les histoires de banquise. On marche et on roule sur l'eau. Malgré toutes les mesures de sécurité prises, ça ne devrait pas arriver et puis....c'est arrivé.

Comme tout se passe bien, on prend la confiance...et c'est la boulette ! Le poids de l'habitude conjugué à la pression de l'opérationnel : Un grand classique de l'accident.

Institut Polaire Français

La compétence, l'inventivité et la rapidité d'intervention des équipes sur place a permit d'éviter le naufrage. C'est l'occasion de réaliser de superbes photos "collector".

Institut Polaire Français

Cette année-là, impossible faute de temps et de matériels adéquats de le sortir durant la campagne d'été. Heureusement, stabilisé par des flotteurs, il a été maintenu immergé dans cette position durant tout l'hivernage, en attendant la campagne d'été suivante. Puis, il a été sorti, expédié chez le constructeur en Australie, remis en état et depuis....il est revenu en terre Adélie. Il est aujourd'hui toujours en service sur la base franco-italienne Robert Guillard.

Institut Polaire Français

La vie en antarctique n'est pas un long fleuve tranquille. Mais c'est ce qui fait aussi le charme de venir travailler dans ce milieu extrême.