mardi 12 décembre 2023

2023 : une banquise surprenante pendant la TA73 !

Un article très complet de la plume de la cheffe météo, Pauline Jaunet, de la TA73. Bonne lecture!



Illustration 1: Débâcle de la banquise vue depuis la base de Dumont-D'Urville le 11 décembre 2023. Photo Pauline Jaunet.

Une débâcle en décembre

En ce début d'été austral, un épisode de houle un peu plus puissant que les autres a enfin libéré la base de Dumont-D'Urville de son carcan de glace. L'occasion de faire un bilan de l'évolution de la banquise, qui fait l'objet d'un suivi quotidien par les agents de Météo-France, hivernant chaque année sur la base.

Les espaces d'eau libérés font le bonheur des manchots adélie et empereur, qui se rassemblent sur les floes (morceaux de glace) avant plonger ensemble dans l'eau glacée à la recherche de proies.

 

Illustration 2: Manchots sur les floes du nord de la base de Dumont-D'Urville le 11 décembre.

 

Illustration 3: carte de l'archipel de Pointe Géologie. La base de Dumont-D'Urville est située sur l'île des Pétrels.


Illustration 4:  La base de Dumont-D'Urville et le glacier de l’Astrolabe en arrière plan. photo : Laurent Baudchon.

Un petit rocher

Au cas où vous l'ignoriez, la base de Dumont-D'Urville est située sur l'île des Pétrels, longue d'environ un kilomètre et entourée d'autres îles et îlots, qui forment l'archipel de Pointe Géologie. Pendant l'été austral (de novembre à mars), les hivernants et campagnards d'été sont donc le plus souvent isolés sur ce petit tas de rochers. Le terrain de jeu s'étend à la formation de glace de mer à la fin de l'été, en général après le départ de la dernière rotation de l'Astrolabe et l'entrée en hivernage. La banquise permet aux hivernants de quitter leur île pour réaliser des manips scientifiques et logistiques, mais aussi tout simplement pour se dégourdir les jambes.

25 tempêtes cette année !

Cette année, l'évolution de la banquise a été assez atypique. L'atmosphère et l'océan ont été très agités, ce qui a fortement retardé la formation de la banquise. Pendant l'hivernage de la TA73 nous avons en effet essuyé pas moins de 25 tempêtes ! Les rafales de vent ont même atteint 198,4 km/h le 25 septembre pendant la tempête Enzo (et même plus, le capteur de vent ayant eu une avarie pendant la tempête).

 

Illustration 5:  Palmarès des tempêtes de l'hivernage TA73.

 

Illustration 6:  Tortue de manchots empereur pendant un coup de vent catabatique le 23 mai 2023. Photo Pauline Jaunet

Dépressions, tempêtes et houle : quésako ?

Sur la côte de l'Antarctique, ces tempêtes ont le plus souvent pour origine le passage de dépressions très creuses au plus proche du trait de côte de la Terre-Adélie. Il arrive aussi simplement que le contexte météorologique favorise une poussée de vent catabatique. Les dépressions qui se forment sur l’océan austral ne rencontrent que peu d’obstacles sur leur passage, leurs vents se défoulent donc avec violence et sans entrave. C’est d’ailleurs dans cette partie du globe que l’on parle de cinquantièmes hurlants.

Ces vents agitent une grande surface de l’océan, c’est ce que l’on appelle le fetch. L’atmosphère transmet ainsi de l’énergie à l’océan, et des ondes se créent puis sont transportées à de grandes distances : c’est ce que l’on appelle la houle.

Houle et débâcle de la banquise

Cette houle atteint parfois les côtes de l’Antarctique, la plupart du temps juste après les tempêtes. Lorsque les trains de houle les plus puissants se rapprochent de la banquise, leurs ondes/énergie sont transmises par la glace. Cela peut fracturer la banquise et entraîner sa débâcle, ou encore retarder sa formation. C’est ce qui est arrivé cet hiver : fin août 2023, l’eau libre était encore à 900 mètres au nord de la base ! En général à cette période, notre île est entourée de dizaines de kilomètres de banquise bien épaisse. La glace n’a réussi à se former qu’en fine couche pendant de rares périodes de répit, entre deux dépressions.

 

Illustration 7:  Eau libre vue depuis la base de Dumont-D'Urville le 22 août 2023, après la tempête Coralie. La piste du Lion est au premier plan.

 

Illustration 8: Banquise en formation le 15 mai 2023.

 

Illustration 9 : Image satellite radar Sentinel-1 du 16 août (pointillés orange) combinées. Un traitement a été appliqué afin de mieux interpréter ces images radar (SARs). Plus la glace est ancienne et rugueuse, plus elle apparaît blanche sur les images (icebergs, continent, banquise chahutée par la houle et le vent..). Plus elle est récente et lisse, plus elle est sombre (frasil sur une récente polynie). Les zones bleues foncées correspondent à l'eau libre agitée par le vent. Source : Sentinel Hub (Copernicus).

Septembre : enfin de la banquise !

Heureusement, dès la mi-septembre le contexte météorologique changé et les dépressions se sont maintenues au loin, sur l’océan. Cela a permis à la banquise d’enfin se consolider et de rester en place jusqu’en décembre, ce qui est peu commun. En effet, a débâcle de l’île des Pétrels intervient en général plutôt en novembre. Cette évolution a été suivie au fil de l’arrivée des images satellites de l’archipel, permettant d’avoir une vision plus globale de l’archipel. Nous avons donc pu profiter des somptueux paysages de la Terre-Adélie pendant des marches ensoleillées, et les opérations et manips ont pu se dérouler de manière optimale.

 

Illustration 10:  Manchots adélie sur la banquise de l'archipel.




Illustration 11:  Quentin (électrotechnicien TA73) sur l'île Midwinter.

Et ailleurs en Antarctique ?

On retrouve cette évolution atypique à l’échelle de tout l’Antarctique. La glace de mer n’a jamais été aussi peu étendue à son maximum (début octobre) et à son minimum (début mars). Après 2022, l'année 2023 établit un nouveau record en termes de faible extension de banquise, comme le montre le graphe ci-dessous. Fin juillet le manque global en glace de mer était même de 15 % (2,44 millions de km²), soit environ la surface de l’Algérie. Cela s’est particulièrement observé au niveau de la Mer de Ross et de l’est de la Mer de Weddell, en Antarctique de l’Ouest.

 

Illustration 12: Evolution de l'extension de la banquise antarctique (en millions de km²) en 2023 (en jaune) par rapport aux 3 années record précédentes, 1986 (violet), 2016 (vert), et 2022 (pointillés rouges), la médiane 1981-2010 et les écarts interdéciles & interquartiles. Source : NSIDC.

 

Illustration 13: Concentration en glace de mer autour du continent Antarctique en mars 2023, à son minimum d'extension, par rapport à la médiane de la climatologie 1981-2010 (ligne orange). Source : NSIDC.

Peut-on en déduire une tendance?

De 2013 à 2023, l’extension de la banquise antarctique a connu ses plus grands extrêmes depuis 1979 (source NSDIC). De 2013 à 2015, elle était la plupart du temps supérieure à la moyenne 1981-2010, 2014 étant même le plus grand maximum observé. À partir de 2016 la tendance s’inverse et les extensions sont en deçà de cette moyenne. D’après les études récentes (notamment Eayrs et al 2021), il est de plus en plus évident que le système de glace de mer Antarctique entre dans un nouveau régime.

 

Illustration 14: Anomalie mensuelle de glace de mer antarctique globale (par rapport à la moyenne 1981-2010) de janvier 1979 à juillet 2023. L'abscisse représente les années et l'ordonnée les mois. Rouge = glace de mer plus étendue que la normale et bleu = glace de mer moins étendue que la normale. Plus la couleur est prononcée et plus l'écart à la normale est important. Source : NSIDC.

3 commentaires:

  1. Merci pour ce poste très détaillé et un peu préoccupant...bonne journée à tous, prenez soin de vous. Christine.

    RépondreSupprimer
  2. c'est très instructif, avec de superbes photos et de belles illustrations. MERCI. Prenez grand soin de vous

    RépondreSupprimer
  3. Superbe article, clair, attractif et joliment illustré. Merci de nous avoir fait vivre votre expérience au fil des mois. Bon retour à la TA73 et bienvenue à la TA74!

    RépondreSupprimer