vendredi 16 mai 2025

Portrait d'Adélien - Corentin G. , L'oreille d'or des ondes Antarctiques ou "l'Homme qui murmurait aux micros des radios"

Après 2 jeudis fériés, et un jeudi tempétueux, les portraits des hivernants sont enfin de retour !  

Chaque jeudi, nous vous proposons d’aller à la rencontre d’un de nos compatriotes du bout du monde. Vous découvrirez les portraits de ces hommes et de ces femmes qui exercent leur art dans le territoire français le plus éloigné de la métropole, en Terre Adélie, sur le grand et mystérieux continent blanc.

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Cette semaine, nous vous présentons Corentin G. , Sergent-Chef de 31 ans, qui nous vient de Rouen et qui occupe la fonction de technicien radio et télécommunications au sein de la base Dumont d'Urville. 

Après un bac S spécialité sciences de l'ingénieur, il poursuit avec un DUT réseaux et télécommunications puis intègre une école d'ingénieur à Paris. Après 6 mois dans cette école, Corentin ne trouve pas ce qu'il était venu y chercher suite à un changement de programme dans les enseignements en cours d'année. Il décide alors de s'engager dans l'armée en qualité de technicien des télécommunications. Dès Novembre 2015, il fait ses classes à Rochefort, à l'école des sous-officiers de l'armée de l'air et de l'espace. Depuis 9 ans, il est affecté à la base aérienne d’Évreux. Il alterne alors les périodes sur base et en OPEX.

 

Ce jeune sous-officier ne manque pas d'expériences de terrain. En effet, en 9 ans d'engagement, il ne compte pas moins de 10 OPEX (opérations extérieures) qui l'ont conduit sur les théâtres d'opérations en Europe de l'Est, en Afrique, et surtout au Moyen-Orient. 

Finalement, pour conclure en beauté cette première partie de carrière militaire, dense et riche en découvertes et engagements sur des terres éloignés et hostiles, le Sergent-Chef décide de rejoindre l'odyssée Antarctique. Une dernière grande aventure pour lui, dans l'endroit le plus isolé de notre vaste monde, avant de revenir à une vie plus stable et sédentaire en métropole. 

 Corentin, plus communément appelé en langage Adélien, "Coco" ou "Radio Radio", occupe la fonction de technicien radio et télécommunications. Notre oreille d'or de l'Antarctique, supervise et maintien les équipements téléphoniques, satellitaires et radio de la base, garantissant la bonne continuité des communications internes à la base comme externes avec le reste du monde. Il veille en permanence au bon fonctionnement de communication satellitaires, garantissant ainsi la remontée des données scientifiques aux différents laboratoires mais permettant également le maintien du lien avec les sièges des Terres Australes et Antarctiques françaises à la Réunion et de l'institut polaire français à Brest. Accessoirement, il permet également aux hivernants de conserver des échanges avec leurs proches, et au chef de district de publier des articles pour donner quelques nouvelles aux proches des hivernants les moins communicants. En somme, c'est Corentin qui nous permet de garder contact avec la civilisation. 

Enfin, il veille à ce qu'en interne, sur la base, les différents personnels puissent communiquer entre eux, grâce aux téléphones mais aussi et surtout grâce aux radios ! 

 Et oui : "Coco" est avant tout aussi en charge du parc radio et de l'efficience du réseau déployé (Antennes relais, radios fixes, portatifs, ...). Ici, les radios sont omniprésentes et essentielles au bon déroulement de nos opérations mais aussi à la sécurité de chacun. Chaque hivernant dispose de sa radio et ne la quitte pas dès qu'il sort d'un bâtiment. 

Au quotidien, Corentin assure la veille radio, pour la sécurité de tous. Il suit la position de l'ensemble des personnes qui quittent la base afin d'être en capacité de réagir rapidement et avec pertinence en cas d'incident hors base. 

"Il faut toujours avoir sur soi la radio et être attentif à chaque message"

Il veille et suit également les activités nautiques et aériennes, principalement pendant la campagne d’Été. En somme, vous le verrez toujours, la radio vissée sur lui, de jour comme de nuit, en veille permanente. 

"A chaque instant, un message d'urgence peut arriver, il faut être prêt à y répondre, il s'agit de la sécurité de nos co-hivernants"

 La plupart du temps et heureusement, il s'agit de communications courantes pour les sorties hors de l'île des pétrels. 

Ci-dessous un extrait des doux messages, empreints de poésie et de finesse que les hivernants entendent sur les ondes quotidiennement :

-"RADIO RADIO D'AMANDINE"

-"RADIO J’ÉCOUTE"

-"ON RENTRE SUR LA BANQUISE EN DIRECTION DU NUNATAK AVEC THEO ET NATHAN"

-"C'EST BIEN PRIS"

 Enfin, notre radio reste bien entendu militaire et à ce titre, il participe aux cérémonies militaires de commémoration sur le district au côté de son camarade de l'armée de l'air et du chef de district. 

Photo : Adèle PHILIPPE

Ce qu'aime notre "Radio" ici c'est la polyvalence de son travail, il touche à plein de choses différentes (réseaux, systèmes téléphonie, satellitaire, ...). 

"J'aime mon travail ici parce que c'est de la technique avant tout et pas un travail de bureau"

Au-delà, "Coco" apprécie particulièrement le cadre exceptionnel que nous offre l'Antarctique et la vie dans un petit groupe, "une base à taille humaine où l'on parle avec tout le monde".  

Sur son temps libre, notre Radio fait preuve d'assiduité, afin de se maintenir en bonne condition physique, il fréquente quotidiennement la salle de sport. 

Corentin est également engagé dans l'équipe Rescue de la base, préparé et formé pour porter secours aux personnels dans les conditions extrêmes de l'Antarctique. Son expérience militaire passée et son sang-froid permettent au chef de district et au médecin de la base de s'appuyer sur lui pour coordonner l'équipe de secours sur le terrain lors des interventions complexes.  

 

 Enfin, et ce n'est pas la moindre des missions, "Coco" est le responsable du bar de la base. Il supervise une équipe de barman qui servent les meilleurs cocktails de la Terre Adélie, parfois jusqu'au bout de la nuit. Le bar, c'est un peu le centre névralgique de la base, où tout le monde se retrouve après une journée de travail ou une journée passée dans le froid, sur la banquise. Avec sa grosse voix rauque, il prend votre commande "Qu'est-ce que je te sers ?"et lance quelques blagues pour garantir l'ambiance au comptoir. 

 Une anecdote à nous raconter ?

"J'ai participé aux manipulations scientifiques sur les manchots empereur en début de campagne d'Eté et alors que je tenais un poussin dans mes bras, un empereur adulte curieux qui venait vers moi a marché dans un petit trou, il s'est cassé la figure ou plutôt "cassé le bec" dans la neige devant moi. C'était hilarant et cela représente bien cet animal si maladroit dont on a parfois du mal à comprendre comment il survit ici."


  Une deuxième anecdote pour le plaisir ?

 "J'étais dans mon bureau quand soudain j'entends un message radio sur la fréquence de secours aérienne... J'ai d'abord cru qu'il y avait un avion en détresse à proximité de la base ! Puis j'ai compris que c'était un avion de ligne qui survolait la base et qui prenait contact radio avec moi pour décrire ses manœuvres. J'ai donc été en quelque sorte aiguilleur du ciel Antarctique"


 Un mot pour terminer ?

 "Je ne regrette pas du tout d'être venu. C'est un gros changement pour moi, tant dans le travail que dans l'ambiance, entouré de civils. Si j'en ai l'occasion, plus tard dans ma vie, je pense que je retenterai l'aventure"


mardi 13 mai 2025

Tempête Jef ! Flirt avec les 200 km/h ! Une tempête qui rentre sur le podium de DDU !

Le 09 mai 2025, une tempête particulièrement violente s’est abattue sur la base Dumont-d’Urville, atteignant 198,4 km/h en rafales. Il est coutume depuis quelques années de nommer les tempêtes par le prénom de l’un des hivernants par tirage au sort.

Retour en images sur la tempête Jef, notre chef centrale, pas peu fier de sa prestation.

 


Le climat de la Terre Adélie est marqué par la prédominance des vents catabatiques (vents gravitationnels suivant la pente descendante de la calotte glaciaire Antarctique).

Autour du continent, règne l’océan austral et une ceinture dépressionnaire associée à de forts vents d’Ouest, dont la latitude varie selon des cycles. Ces creusements atteignent leur paroxysme aux intersaisons, lorsque les contrastes de température entre les basses couches et la masse d’air en altitude sont les plus élevés.

Quand ces dépressions circulent au nord de DDU, le déferlement du catabatique est favorisé et les vents peuvent être tempétueux. 

Ainsi, le 08 mai 2025, de l’air doux relatif advecté (se dit d’une masse d’air qui se déplace dans le sens horizontal) depuis les moyennes latitudes est surplombé en altitude par de l’air très froid. Cette interaction donne lieu à une cyclogenèse (creusement d’une dépression) explosive, avec une pression modélisée au centre dépressionnaire de 945 hPa le 09 mai à 13 h locales (cf figure 1).

Note du DISTA : Si vous êtes toujours en train de lire cet article, rassurez vous ! Vous avez passé le plus compliqué ! 

Figure 1 : Pression au niveau de la mer (en noir), Vent moyen à 10 m (barbules) et rafales de vent en km/h (en plage de couleur) du run de 12UTC du 08/05 pour l’échéance de 13h locales le 09/05. Les rafales modélisées ne dépassent pas les 150 à 160 km/h.

Figure 2 : Image satellite Composition Colorée HIMAWARI, en blanc les nuages élevés et en jaunâtre les nuages bas. « L » pour Low Pressure.

 La tempête Jef circule ainsi à environ 500 km au nord de DDU, en phase mature, puis se comble peu à peu en se décalant vers l’est (cf Figure 2). Elle génère une longue houle de Nord à Nord-Ouest atteignant 4,5 à 5 m, d’une période de 12 s. Pour rappel, plus la période de la houle est élevée (à partir de 12 s), plus l’onde est énergétique et pourra traverser le pack et impacter la glace côtière. Le 10 mai au matin, la banquise avait alors débâclé à environ 2 km de la base. (cf Figures 2 bis)

AVANT  
APRÈS

 

Figures 2 bis : Vue sur le nord de l’Anse du Lion, le 8 mai avant la tempête « Jef » (à gauche) et le 10 mai après son passage destructeur (à droite).        

 PALMARÈS DES TEMPÊTES

Elle atteint son pic d’intensité à la mi-journée du 09 mai, avec des rafales maximales horaires dépassant les 100 kt (185,2 km/h) pendant 5 h de suite entre 13h et 17h, et une rafale maximale à 12h44 atteignant 198,4 km/h (cf figure 2). Cette valeur place la tempête Jef au 5ème rang des rafales les plus fortes enregistrées pour un mois de mai depuis 1981, date de prise en compte des mesures dans la base de données climatologiques de Météo France (les valeurs antérieures enregistrées avec un anémomètre plus ancien ne sont pas prises en compte dans les statistiques). Pour information, le record absolu est de 244,8 km/h, le 23/05/1988.

Podium des vents moyens des tempêtes du Mois de Mai à DDU

 

Quant au vent moyen, il est remarquable et atteint les 137,5 km/h dans l’après-midi, soit 74,2 kt, une valeur record plaçant la tempête Jef au podium (3ème rang) des tempêtes du mois de mai derrière les 20 et 23 mai 1988 (avec respectivement 158,4 et 147,6 km/h).

 Il faut remonter au 20/05/2021 pour avoir une valeur de rafale supérieure (204,8 km/h), la fréquence de ce type d’épisode étant d’environ une fois par an.

Figure 4 : coucher de soleil du 10 mai, icebergs au milieu de l’eau libre. La tempête s’est évacuée au nord-est de l’Archipel et le vent de Sud-Est  souffle encore autour de 80 à 90 km/h en rafales. Les éclaircies gagnent par le large et les contrastes entre les bergs, l’eau et le ciel sont saisissants.

 


 

Cindy SOUAN

Cheffe station météo France

Base Dumont d'Urville