01 décembre 2025

Encore une semaine bien chargée en Terre Adélie !

Arrivée de L’Astrolabe

Après l’arrivée des premiers campagnards d’été par deux vols les 29 octobre puis 3 novembre, c’est au tour de notre célèbre patrouilleur polaire, L’Astrolabe, de débarquer le 23 novembre une quarantaine de personnes à Dumont-d’Urville (DDU), futurs hivernants et campagnards d’été. Une douzaine de jours de navigation auront été nécessaires au bateau des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF), armé par la Marine nationale pour le compte de l’Institut Polaire Français (IPEV), pour affronter l’océan austral puis se frayer un chemin à travers le pack de glaces encore compact en saison. La banquise enserrant toujours notre archipel de la pointe Géologie, L’Astrolabe s’est arrimé sur celle-ci à environ 8 km de la station et les nouveaux venus ont été transférés sur la banquise par un chasse-neige tractant une cabine.

Crédit : Nicolas Puvis (DISTA)

Une fois cette opération réalisée, le temps est venu pour les deux hélicoptères sortis des cales de L’Astrolabe de transférer le fret embarqué à Hobart, en Australie. En deux jours et pas moins de 25 allers-retours chacun, cet impressionnant ballet aérien a réussi à vider une bonne partie des 170 tonnes à bord de L’Astrolabe, laissant 4 allers-retours sur la banquise à des engins lourds pour les containers les plus volumineux.

Dispatch du fret fraîchement arrivé

Là n’est que le début d’un travail de fourmis titanesque pour dispatcher tout ce matériel entre la piste du Lion où il a été déchargé et les différents lieux de destination, que ce soit sur la station Dumont-d’Urville, sur la station Robert-Guillard à cap Prudhomme (pour elle-même ou pour la station franco-italienne Concordia) ou pour le Raid Science. La tempête Coco approchant, le défi s’annonce ambitieux mais il a été réalisé avec brio. Les conditions météo n’ont en revanche pas permis de transférer les 200 m3 de carburant dans les conditions de sécurité propres à cette opération particulièrement délicate, qui nécessite l’usage de bâches souples tirées par des engins sur la banquise. L’Astrolabe repartira donc avec et nous le livrera à la prochaine rotation.

Les nouveaux commencent à s’approprier les mécanismes de la base, en particulier les services base et la manip’ vivres, qui consiste à transporter une fois par semaine les vivres depuis leurs lieux de stockage (sec, frigo +4°C et chambre froide -20°C) vers la cuisine.

Crédit : Nelly Gravier (TAAF)

Et bien évidemment, pendant ce temps, les programmes de recherche scientifique battent leur plein. C’est le début de la campagne d’été. Il n’y a pas une minute à perdre pour les ornithologues, pour celles et ceux qui font des relevés, installent ou réparent des instruments de mesure, observent tel ou tel phénomène glaciaire ou atmosphérique.

Crédit : Nicolas Puvis (DISTA)

Passage d'un avion

Le jour de l’arrivée de L’Astrolabe, un avion s’est également posé sur notre piste d’atterrissage, à quelques encablures sur la calotte polaire continentale. Le petit Basler nous dépose les six hivernants IPEV de la station Concordia, sur Dôme C, à 1 100 km à l’intérieur du continent. Ils viennent d’y passer l’année avec six autres hivernants du programme national italien de recherche en Antarctique (PNRA) et une médecin de l’Agence spatiale européenne (ESA). Ce court passage leur aura permis de voir une autre facette du continent blanc et aura été l’occasion de nous présenter leur hivernage lors d’une soirée dédiée. Ils prendront le chemin du retour avec L’Astrolabe.

En redécollant une heure après, le Basler emmène avec lui deux collègues de l’IPEV qui vont à leur tour passer quelques semaines à Concordia.

Raid Science

Le 23 novembre, le Raid Science s’est élancé de la station de cap Prudhomme pour se positionner à D17, un point situé à une dizaine de kilomètres, un peu plus haut sur la calotte polaire. L’équipe initiale de trois personnes sera rejointe le lendemain par quatre autres, débarquées de L’Astrolabe, ainsi que du matériel également acheminé depuis Hobart.

Ce Raid s’étirera sur une soixantaine de jours, d’abord pour le compte du programme Awaca et plus spécifiquement pour relever les instruments de mesure et effectuer des réparations sur les unités disposées à D17, D47 et D85, des points situés respectivement à 10, 100 et 500 kilomètres de DDU. Au retour, ils déploieront un autre programme scientifique.

Crédit : Nicolas Puvis (DISTA)

Au départ de cette petite caravane, l’ambiance est bonne au sein de l’équipe, malgré les nombreux défis techniques et climatiques qu’ils devront affronter. Mais leur adage « s’inquiéter, c’est souffrir deux fois » est de rigueur dans l’équipe.

Raid Logistique

Le 29 novembre, c’est au tour du Raid Logistique de s’élancer. C’est l’opération de la semaine ! Par deux fois dans la saison, il reliera Prudhomme à Concordia, assurant ainsi le ravitaillement vital de cette station en matériel et en carburant. Trois convois tirés par deux véhicules de traction chacun (un seul convoi et un tracteur représentés sur la photo ci-dessous) seront escortés de deux dameuses.

Crédit : Nicolas Puvis (DISTA)

A une moyenne de 10 km/h, plus de dix jours seront nécessaires pour rallier Concordia. L’équipe franco-italienne (IPEV-PNRA) de dix personnes et leurs engins devront affronter le froid, le vent, la neige, mais aussi un paysage de désert blanc sans fin. Chaque soir, ils s’arrêteront en route, se restaureront et se reposeront dans deux cabines de vie spécialement équipée. Une véritable prouesse technique et humaine.

A Prudhomme comme à DDU, on sent le soulagement des équipes une fois le raid parti. Le boulot aura été fait et bien fait, pour permettre ce premier départ si crucial.

Passations

La semaine aura aussi été l’occasion des passations de fonction entre hivernants de la mission TA75 et ceux de la TA76 fraîchement débarqués. En effet, lors de cette première rotation de L’Astrolabe de l’été austral, les deux tiers des hivernants sont traditionnellement relevés (le dernier tiers l’étant à la rotation suivante). On a ici des glaciologues, des lidaristes qui étudient la stratosphère, des ornithologues, des météorologues, des informaticiens, des médecins, des cuisiniers, des menuisiers, des électriciens, des plombiers, des conducteurs d’engins, des responsables de la centrale électrique, des responsables des télécommunications, etc. qui vont se relayer. En à peine cinq jours, il s’agit de transmettre le maximum aux suivants, pour faire fonctionner la station au quotidien pendant un an, mais aussi pour assurer une certaine continuité dans la mémoire institutionnelle. Les émotions liées à ces missions qui s’achèvent ou qui débutent s’invitent inévitablement dans ce processus et ne doivent évidemment pas être négligées. C’est avant tout une aventure personnelle et individuelle que nous sommes amenés à vivre sur ce territoire du bout du monde. On comprend aisément comme la clôture de ce chapitre d’une vie peut se révéler chargée émotionnellement.

C’est également lors de cette semaine que la passation de fonction entre les chefs de district sortant et entrant a eu lieu. C’est traditionnellement l’occasion d’une cérémonie officielle, généralement présidée par la Préfète, administratrice supérieure des TAAF. Cette année la retenant en métropole, elle nous a adressé un message vidéo. Cette passation est également symboliquement le passage de flambeau entre deux équipes d’hivernants, des missions TA75 et TA76, et marque également le grand lancement de la campagne d’été, quand bien même les premiers campagnards sont arrivés il y a trois semaines.

Crédit : Nelly Gravier (TAAF)

Notre implantation en Antarctique a une double particularité. Nous sommes en Terre Adélie, d’où la présence d’un chef de district, représentant la Préfète, administratrice supérieure des TAAF, ayant également fonction d’officier de police judiciaire et d’officier d’état civil, en plus de son rôle régalien, s’assurant de la sécurité de tous et de la cohésion de la mission. Et nous sommes sur la station Dumont-d’Urville, opérée par délégation par l’Institut Polaire Français (IPEV) qui coordonne à la fois les activités de recherche et toute la logistique inhérente au bon fonctionnement de la base.

Départ de L’Astrolabe

Les marins de la Marine nationale n’auront pas eu l’occasion de débarquer durant cette rotation de L'Astrolabe. Mais nous les recevrons le mois prochain lors de la prochaine. Ce sera alors l’occasion de célébrer convenablement la dernière rotation pour plusieurs membres de l’équipage A qui passera le relai à l’équipage B en janvier.

Crédit : Nicolas Puvis (DISTA)

La semaine s’achèvera donc sur le départ des premiers hivernants de la TA75 (75e mission en Terre Adélie 2024-2025). Leur dernier vol en hélicoptère sera pour rejoindre L'Astrolabe, en appui banquise à quelques kilomètres. Pour eux, un dernier survol de ce qui aura été leur univers un an durant. Cet article ne suffirait pas à mettre en mots leur contribution pour la science et le fonctionnement de la station. Ces hommes et ces femmes ont passé une année ensemble, dans un espace confiné, isolé, éloigné de tout. Ils auront vécu des moments inoubliables au milieu des manchots et pétrels, sur ce continent à nul autre pareil. Ils auront aussi eu à faire face à quelques tempêtes dans le cœur de l’hiver. Cette année, d’une rare intensité, marquera pour toujours celles et ceux qui ont eu la chance de la vivre.

21 novembre 2025

Portrait d'Adélien - Nathan CLAUSSE, le menuisier des glaces

Chaque semaine, nous vous proposons d’aller à la rencontre d’un de nos compatriotes du bout du monde. Vous découvrirez les portraits de ces hommes et de ces femmes qui exercent leur art dans le territoire français le plus éloigné de la métropole, en Terre Adélie, sur le grand et mystérieux continent blanc.

--


 Cette semaine, nous vous présentons Nathan CLAUSSE, 21 ans, originaire de Nancy, en Lorraine, qui occupe la fonction de menuisier pour la Base Dumont-d'Urville. 

Notre benjamin d'expédition a déjà un beau parcours professionnel malgré son jeune âge. A l'issue de l'obtention de son brevet de collège, il hésite sur la suite de son parcours, il ne sait pas trop dans quel domaine s'orienter. Il hésitera alors entre la menuiserie, qu'il a découvert à l'occasion d'un stage de 3ème, l'armée, la conduite d'engins ou encore l'engagement en tant que pompier. Finalement, c'est en se rendant avec son père aux portes ouvertes de la maison des compagnons de Nancy qu'il décide de son avenir. Il intègre donc les compagnons à Nancy à 15 ans, il réalisera ses premières expériences dans cette maison durant 2 ans. 

"C'était génial, j'ai appris plein de choses, et surtout, j'ai eu l'impression de passer d'un coup de collégien à adulte, un vrai changement de cap pour moi". Durant sa formation de 2 ans, il alternera entre apprentissage chez les compagnons et pratique en entreprise. Il travaillera sur plusieurs gros projets avec son entreprise d'accueil, notamment sur l'aménagement des présentoirs pour le self du parlement européen à Strasbourg.

 A l'issue de ces 2 ans, Nathan va obtenir son CAP menuisier. Il est alors "adopté" chez les compagnons et débute alors le traditionnel tour de France des compagnons.

Il débute avec 7 mois à Brest au côté d'un artisan menuisier, travaillant dur à ses côtés. Durant ce séjour, il obtiendra le titre professionnel de poseur. Il gagne alors Strasbourg où il demeure durant 5 mois, travaillant sur les agencements intérieurs pour de grandes marques locales puis il est temps de gagner le sud, direction Marseille. Il restera dans le pays des cigales et de la pétanque durant 7 mois, "J'ai adoré", il travaille alors dans une entreprise d'agencement de luxe pour de grands hôtels ou villas. Ce sera aussi l'occasion pour lui de débuter sa première année de brevet professionnel et d'obtenir le titre pro "Fabricant de bois et dérivés". Pas le temps de se poser, le tour de France continu, il se rend à Montauban et sillonne les routes du Tarn et Garonne et du Tarn en tant que menuisier poseur, "c'était vraiment sympa". Enfin, il termine ce tour durant 1 an, à Dijon, au sein d'une entreprise historique, crée 200 ans plus tôt, où il travaillera principalement artisanalement, réalisant de la belle menuiserie. C'est aussi durant son séjour à Dijon, qu'il obtiendra son Brevet Professionnel de Menuisier. 

 

 
Rapidement, il postule pour l'Antarctique, auprès de l'institut polaire, après avoir vu un reportage sur Concordia et suite à des échanges avec un ami à lui à Brest qui avait réalisé la 69ème mission en Terre Adélie. Il rejoint alors la 75ème mission française. 

Sur base, Nathan répond aux besoins des personnels quant aux agencement des espaces, des bibliothèques, des étagères, des rangements, il reçoit, travaille et adapte les demandes aux besoins et aux possibilités. 

Au quotidien, il entretient également les portes et fenêtres et solutionne les éventuelles fuites d'étanchéité des infrastructures. 

Il aide aussi les hivernants et campagnards à confectionner des cadeaux, en particulier lorsque Noël approche. Chaque année, les 3/4 de la base se précipite au dernier moment à la menuiserie en quête d'une idée de cadeau de la dernière chance. 

Enfin, Nathan participe aussi aux grosses opérations logistiques comme le transfert de carburant sur la banquise ou la préparation de la piste de D10. 

"Je me sens apaisé seul, je peux gérer ma menuiserie comme je veux, en autonomie"

Enfin, il n'est pas vraiment seul, un petit manchot Adélie, qu'il surnomme "Léon", est son colocataire du 22, il ne traîne jamais loin de la menuiserie et surveille les allers retours de notre menuisier.  

Si vous cherchez Nathan, repérez une VTN ancienne génération au Rouge pâle. Attention, cela peut être trompeur, l'étiquette ne mentionne pas son prénom mais "JLS". "JLS" pour Jean-Luc SINARDET, son mentor menuisier de Terre Adélie, un vieux de la vieille, il fait partie avec quelques autres campagnards, des vieux loubards des TAAF. 

Pour le bas, aucun doute, il portera forcément un de ses pantalons largeots en velours, sa signature vestimentaire.

Buste gonflé, allure fière, peau blanche comme la neige pure de l'Antarctique, vous le verrez traverser la base entre la menuiserie et le séjour, lunettes de soleil vissées au visage, cheveux au vent.    

Durant son temps libre, notre Benjamin "chill", regarde des séries, participe à des jeux de société, regarde des émissions comme Koh-Lanta. Les hivernants, expérimentés, s'installent alors à distance, pour éviter les nombreux bavardages, commentaires et rires qu'il va partager avec ses 2 acolytes d'émission, Amandine, notre Ornitho et Cindy, notre cheffe météo. A tour de rôle, ces 3 là se préparent leur tisane avant de se caler dans les fauteuils face à l'écran. 

Nathan est également toujours volontaire pour un Babyfoot.

Toujours présent pour les exercices de l'équipe Rescue dont il est membre, il est aussi pompier lourd en cas d'incendie.  

Un brin casse cou, depuis toujours, il est attentivement surveillé par Adèle, notre médecin de base, toujours inquiète des idées farfelus qu'il trouvera pour se blesser. 

Bref, ce qu'aime ici notre pile électrique inépuisable, c'est un peu tout, des tempêtes au grand froid en passant par la banquise, les tracteurs et les manips ornitho, sans oublier les crevasses... 

"Les sorties ornitho c'est cool en vrai"  

Toujours curieux et cherchant la force de la nature, il est parfois presque déçu, "j'aimerai qu'il fasse toujours plus froid et qu'il y ait toujours plus de vent...

Notre jeune Nathan, n'a qu'une terreur, une angoisse, rien n'avoir à raconter à ses enfants plus tard. Il vit pour avoir des "Dad Lore", c'est à dire des "histoires de Papa" à raconter. Surement en a-t-il été nourrit tout jeune. A présent, il en aura déjà quelques unes à raconter !  

D'ailleurs, une anecdote à nous raconter ? 

"Le jour de mon anniversaire, je suis allé me promener sur la banquise avec quelques co-hivernants. En me rapprochant en direction du glacier de l'Astrolabe, je suis tombé dans une crevasse. Mes co-hivernants ne m'ont pas vu tomber. J'ai à peine eu le temps d'écarter les bras, j'étais enfoncé jusqu'aux épaules. Fier comme toujours, je n'ai pas perdu un instant et je me suis extrait en sortant les jambes puis en roulant sur le côté..."  

 Une citation à nous partager ?  

 "Il vaut mieux avoir les yeux qui brillent d'aventures plutôt qu'ils pleurent de mésaventure"

Un mot pour terminer ? 

"C'était cool, j'ai rencontré plein de gens super sympas, j'ai kiffé beaucoup plus la faune que ce que je pensais et puis j'ai découvert des activités passionnantes, la photo, l'alpinisme avec Adèle, tout ça dans un milieu extrême. Bref, l'aventure."