jeudi 26 juin 2025

Portrait d'Adélienne - Alice GROS, la cuisinière des contrées glacées

Chaque jeudi (ou presque...), nous vous proposons d’aller à la rencontre d’un de nos compatriotes du bout du monde. Vous découvrirez les portraits de ces hommes et de ces femmes qui exercent leur art dans le territoire français le plus éloigné de la métropole, en Terre Adélie, sur le grand et mystérieux continent blanc.

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 Cette semaine, nous vous présentons Alice GROS, 45 ans, qui occupe la fonction de cheffe de cuisine intendante sur la base Dumont d'Urville. 

Passionnée d'histoire, Alice a d'abord rêvé d'être historienne, archéologue, de se pencher sur de vieilles archives pour en dévoiler les secrets enfouis. Consciente du peu d'ouverture offert par ce secteur d'activité, elle décidera finalement de s'engager dans la fonction publique hospitalière où elle exercera durant 15 ans comme cadre administrative d'un service en charge de la gestion financière et du personnel. Finalement, le souhait d'un nouvel élan professionnel va la pousser à retourner durant 1 an dans un lycée hôtelier à Montpellier, pour s'orienter dans l'art de la bouche.


 Durant les 3 années qui vont suivre, notre nouvelle cuisinière va voguer dans le riche panel d'activité que lui offre sa nouvelle profession de bouche, multipliant ses aventures professionnelles, et accumulant ainsi une nouvelle expérience, de l'économat des armées aux centres de vacances, en passant par les classes vertes et les maisons de retraite. Enfin, sa fascination pour les voyages et pour les pays froids va la pousser à rejoindre les équipes de la base pour cette aventure d'un an en Antarctique. 


 Sur la base, Alice est chargée de cuisiner les repas pour tous les personnels. Elle veille aux régimes ou appétences particuliers afin de satisfaire au mieux les hivernants. Finalement, Alice apporte du réconfort chaque midi et chaque soir, en offrant des repas attendus par tous après une bonne journée de travail, parfois dans les conditions difficiles de l'Antarctique. Les repas rythment la vie de la base, et permettent de garder les repères sur le déroulé des journées, dans un pays où soit le jour soit la nuit sont permanents. Alice fait également partie du comité des fêtes de la station, appelé "ministère de la fête", où elle organise notamment des repas festifs pour animer la base. 


La cuisine ne pourrait pas se faire sans intendance, et là aussi, Alice a un rôle prépondérant, elle est en charge de la conception des menus avec une offre diversifiée. Elle est aussi en charge du suivi des stocks alimentaires ou d'équipements de cuisine et de la gestion de ces ressources. Enfin, elle anticipe longtemps à l'avance, pour les prochaines missions, en réalisant l'inventaire et en préparant les futures commandes. N'oublions pas qu'ici, durant plus de 9 mois, nous ne pouvons pas recevoir de livraisons, il faut donc vivre avec le stock alimentaire à disposition.

 

L'art culinaire en milieu isolé n'a rien d'évident, c'est un engagement permanent, les repas doivent être servi tous les jours de l'année 365j/an, midi et soir ! C'est donc un peu plus de 730 repas qui sortiront des cuisines de la base chaque année. Le métier est exigeant car le travail des cuisines est au premier plan, gouté chaque jour par tous les membres de la mission. 


 Rassurez vous, les hivernants mangent très bien cette année, peut être trop bien, d'après les pesées régulières ... 

Sur son temps libre, Alice va faire du sport en fin d'après midi, parfois elle anime même des séances collectives pour mieux motiver les hivernants à cette activité.   

Notre cuisinière aime également se promener dans les paysages exceptionnels de l'archipel. Quand la météo le permet, elle s'autorise une promenade entre les îles avec quelques uns de ses co-hivernants. Parfois, elle réalise le tour de l'île en solitaire, l'idéal pour se ressourcer et avoir les idées fraîches.    

Alice coordonne aussi les présentations du Jeudi soir, "Les jeudis de la connaissance", chaque jeudi, un hivernant présente un sujet qui l'intéresse aux autres membres de la mission. 

Lors des soirées à thème, Alice perpétue la tradition des déguisements bien présente dans les bases Australes et Antarctiques. Alice dévoile à ses co-hivernants une panoplie de déguisements impressionnante.   

Notre chef cuisinière fait également partie de l'équipe médicale de la base, formée par la médecin de la base pour l'aider à prendre en charge des éventuels patients.  

Sur le reste de son temps, Alice brode de très beau motifs, lit, écrit, classe ses photos, ... Elle aimerait faire plein d'autres choses mais le temps passe très vite, trop vite ...

Ce qu'aime Alice ici, c'est le climat extrême de notre territoire, elle qui a toujours été attiré par les pays froids. Ce qu'elle admire également c'est "l'incroyable course du soleil", particulièrement visible dans nos contrées. Elle s'émerveille devant le spectacle, qui, en 6 mois, nous fait passer du jour complet à la nuit permanente. "On se sent tout petit" ajoute t-elle. Enfin, elle apprécie le spectacle des aurores, du ciel étoilé, des violentes tempêtes, de ces terres sans traces de végétations mais dont la faune est fascinante. 

 Une anecdote à nous raconter ?      

"Durant l’Été, j'ai participé à une sortie bateau en début d'après-midi, la glace flottante ralentissait parfois un peu notre progression. Plus tard dans l'après-midi, une autre équipe est partie en sortie et cette fois les glaces ont été moins compatissantes, leur retour s'est fait attendre. J'ai dû leur garder à manger. Finalement ils sont arrivés à bon port après cette petite aventure, coincés dans les glaces"

 Une citation ?  

 "Le gras c'est la vie ! "

"Encore plus en Antarctique ! On prend exemple sur les manchots et les phoques !"


Un mot pour terminer ? 

"Je me sens très chanceuse et très fière car je réalise mon rêve en étant ici. Je ne me suis pas trompée en changeant d'orientation. En résumé, il faut oser dans la vie, si l'on a un rêve, il faut tenter de le faire devenir réalité."   


 

 

jeudi 5 juin 2025

Portrait d'Adélienne - Amandine, l'ornitho qui chante à l'oreille des oiseaux de l'Antarctique

 Chaque jeudi (ou presque...), nous vous proposons d’aller à la rencontre d’un de nos compatriotes du bout du monde. Vous découvrirez les portraits de ces hommes et de ces femmes qui exercent leur art dans le territoire français le plus éloigné de la métropole, en Terre Adélie, sur le grand et mystérieux continent blanc.

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 Cette semaine, nous vous présentons Amandine, notre ornithologue de 27 ans, qui nous vient de Gironde.

Après son bac, Amandine a intégré une prépa BCPST (biologie, chimie, physique et sciences de la Terre) à Bordeaux avant de rejoindre une école d'ingénieurs agronomes à Paris. Elle choisira alors de de spécialiser dans la gestion de l'environnement. Elle finira son cursus par un master expertise Faune et Flore également à Paris. 

Riche de ses apprentissages et de sa passion personnelle pour les oiseaux, Amandine intègre alors l'ACROLA (Association pour la connaissance et la recherche Ornithologique Loire et Atlantique) ou elle partagera son temps d'une part, pour le suivi de la population nicheuse de Cigognes blanches et d'autre part, pour le suivi, en Estuaire de la Loire, de la migration postnuptiale des passereaux, grâce au baguage.

En parallèle de ces activités dîtes "professionnelle", Amandine réalise beaucoup d'observations ornithologiques sur son temps libre, il ne faut pas oublier que c'est aussi sa passion ! Amandine a une chance rare, elle a finalement réussi à faire de sa passion son métier et inversement... 


 Ici, sur la base Dumont d'Urville, notre jeune ornitho, aussi surnommé "Amande", a un rôle de biologiste de terrain. 
Sa mission principale : Récolter les données de terrain pour le suivi démographique à long terme de l'ensemble des espèces animales qui se reproduisent à DDU (à l'exception des humains). Amandine suit donc 9 espèces distinctes dont 8 espèces d'oiseaux et 1 espèce de phoque. 

L'objectif est de veiller sur l'état des populations animales de l'Antarctique et analyser comment les écosystèmes Antarctiques répondent aux pressions auxquelles elles font face (changement climatique notamment). Ces espèces sont particulièrement intéressantes à étudier car elles se situent en bout de chaîne alimentaire et sont par conséquents de bons indicateurs des changements et perturbations éventuelles de leur écosystème, ce sont des espèces dîtes "sentinelles". 


 Le suivi réalisé ici est particulièrement intéressant et pertinent car il est ancien. Les premiers baguages d'oiseaux remontent à 1963 et les premiers comptages au sein de la manchotière des empereurs remonte à 1952. On peut donc parler de suivi à long terme de ces espèces. 

"Amande" n'a pas de journée type, et ce n'est pas pour lui déplaire ! Finalement, ses journées et son planning sont rythmés par la phénologie des oiseaux (leur rythme et cycle de vie). 

Amandine, vous la reconnaissez facilement sur la base ! Une parka bleue, qui a vécu, sur les épaules ou, dans les situations difficiles, une vareuse orange, tâchée de tous les côtés par divers fluides animaux. Une grande silhouette avec des bras et des jambes longs comme les ailes d'un Pétrel géant Antarctique. Le regard toujours orienté vers le ciel.  Et surtout, vous la voyez tout le temps en train de crapahuter dans les falaises de l'île ou partir sur la banquise pour retrouver sa manchotière.    

L'Eté est particulièrement dense pour notre piafologue, elle suit la nidification des oiseaux sur les îles de l'archipel, la reproduction, lit les bagues, suit les pontes et éclosions, réalise le baguage des adultes et des poussins, compte les manchots, suit les phoques de Weddell, recense les espèces non nicheuses dans notre région comme les Manchots à jugulaire, les Phoques crabiers, les Pétrels Antarctiques, ....).

Et puis, il y a une autre partie de son travail, sans doute moins passionnante, mais indispensable, le travail de bureau, après les manipulations, afin de saisir puis traiter les données recueillies lors des longues sorties. 

Si vous lui demandez ce qu'elle aime dans son aventure ici, installez-vous confortablement, la liste est longue... 

"Plein de choses !!"

"On pourrait croire que le paysage est figé par la glace mais en fait, c'est le contraire, le paysage est très changeant ! Chaque matin, nous découvrons un nouveau paysage autour de nous !"

"J'aime les couleurs !!"

"J'aime vivre en petit comité et le fait que l'on partage tous notre quotidien, chacun apporte ses passions, ses idées, ses connaissances et ça rythme nos activités quotidiennes."

"En somme, on s'enrichit mutuellement dans notre petit monde"


En parallèle, Amandine est particulièrement engagée pour la vie de base, toujours à l'origine d'une proposition d'activité ! Elle fait partie du "ministère de la fête", qui organise les soirées, très souvent déguisées comme le veut la tradition des Terres Australes et Antarctiques, elle organise des tournois de ping-pong, propose des jeux de société, joue du piano, fait de la couture, de la poterie, du Rubik's Cube, essaye de lire la trilogie des rois maudits, mais... depuis 1 mois, demeure bloquée à la page 54 du Tome 1 ...  

Et enfin ! Une de ses plus grosses réussites ! Elle n'en ai pas peu fière :

 "J'ai converti presque l'intégralité de la mission à Koh-Lanta !! " dit-elle avec un large sourire, les yeux brillants de satisfaction.  

En effet, chaque Mercredi soir, Amandine a créé un rituel, les hivernants suivent les aventuriers de Koh-Lanta, rythmé par les interventions de Denis ! Un groupe soutient Maxime le vosgien, un autre défend bec et ongle Jérôme des landes, un autre pour Louise, d'autres pour Naïs la marseillaise... Bref, chaque soirée se termine soit dans la joie soit dans la colère, au rythme des conseils éliminatoires... 

Amandine anticipe aussi, sur son temps libre, elle commence à se renseigner sur les oiseaux d'Australie, pour son retour sur le continent.  

Entre deux de ses activités, Amandine est aussi engagée dans l'équipe rescue de la base, formée pour porter secours aux éventuels blessés.  

Bref, "Amande" court partout et ne rate aucune activité et toujours avec un sourire communicatif ! 

"Je n'ai pas le temps de faire tout ce que j'aimerai !" dit-elle mi-amusée mi-attristée par le temps qui passe si vite.

 Une anecdote à nous raconter ?

"J'ai appris à patiner en Antarctique ! Le patinage sur la banquise c'est incroyable ! On patine sur une banquise infinie, le coucher de soleil en fond, les immenses Bergs (Icebergs) autours de nous ! Je suis devenue une experte sur certaines figures de patinage comme "Le Citron" en marche-arrière , ça n'est pas donné à tout le monde !

Amande en pleine figure de patinage artistique. Photo : Nathan CLAUSSE

Amandine revient de loin et c'est pour cela qu'elle contemple avec satisfaction ses progrès, quelques semaines auparavant, chaussée de crampons, elle évoluait sur le glacier comme un girafe sur des échasses, amusant ses co-équipiers !   

Une deuxième anecdote pour le plaisir ?

 "Durant tout l'Eté, lors des manipulations avec les oiseaux, ces derniers n'ont pas cessé de me vomir dessus (réflexe défensif)"

 L'odeur du vomi de pétrel est particulièrement forte, tenace et âpre. Nous arrivions à suivre la trace d'Amandine quand nous la cherchions sur base grâce à cette odeur qui ne la quittait plus.

"Une campagnarde d'Eté, Estelle, a fini par coller sur la porte de ma chambre une pancarte représentant le parfum Channel n°5, qu'elle a rebaptisé" :

 "Pétrel n°5, Une flagrance de Vomi"   

Un mot pour terminer ?

"Il n'y a plus rien dans le ciel ! Plus que les manchots ! Mes chouchous à plume me manquent !  

Le temps passe trop vite ! C'est trop bien d'être ici ! 

Pour moi, l'hiver c'est mystique, c'est le truc qui ne vient jamais, je passe mon temps à me dire, je ferai ça cet hiver, mais l'hiver est déjà là ! 

Je ne veux pas que ça s'arrête ! "