Les Terres australes et antarctiques françaises ont leur vocabulaire spécifique, leurs acronymes, leurs références. La Terre Adélie ne fait donc pas exception. Cela s’explique en partie parce que ces locutions recouvrent bien souvent des réalités qu’on ne retrouve pas nulle part ailleurs sur les autres territoires de la République.
Cette semaine, nous allons nous arrêter un peu sur les termes campagnards d’été et hivernants. Chacun aura déjà deviné qu’ils sont saisonnalisés. En effet, on ne rencontre de campagnards d’été en Terre Adélie que pendant l’été austral, tandis que les hivernants sont ceux qui restent sur place un an, pour y tout l’hiver.
Pour comprendre le concept, il faut d’abord saisir la prépondérance du changement de saison. Durant l’été en antarctique (novembre à février), les longues journées et la météo plus clémente sont propices à bien des travaux scientifiques et logistiques. Mais c’est aussi la meilleure (et la seule) saison qui rend notre contrée accessible. Aussi, la station Dumont-d’Urville (DDU) bat son plein durant cette saison-là, c’est ce qu’on appelle la campagne d’été. Et comme elle est ouverte toute l’année, une plus petite équipe (les hivernants) la fait tourner tout en poursuivant quelques programmes scientifiques.
Revenons rapidement sur les défis d’accessibilité de la station, qui font que les personnels n’entrent et sortent que pendant l’été austral, de novembre à février, et par bateau ou par avion uniquement.
La banquise enserre complètement l’archipel de Pointe-Géologie où DDU se situe, entre mars-avril et novembre-décembre. Au-delà de la banquise ferme et solide, la zone de pack (constituée de morceaux de banquise débâclée et à la dérive) peut s’étendre à plusieurs centaines de kilomètres. Cette zone peut être difficile à franchir, même pour un brise-glace. Rappelons qu’un brise-glace comme L’Astrolabe peut briser la banquise jusqu’à une épaisseur de 1,20 m ; en comparaison, la banquise près de DDU peut dépasser les 2m d’épaisseur. Durant l’hiver, le bateau ne peut s’approcher et les hélicoptères n’y suffiraient pas pour débarquer et décharger, puisqu’on restreint à 100 km environ leur rayon d’action. L’accès par la mer se fait donc uniquement de novembre à février, avec 4 à 5 rotations de L’Astrolabe depuis Hobart en Tasmanie (Australie) durant cette saison.
L’Astrolabe, au loin en bord banquise lors
de sa première rotation de la campagne 2025-2026.
Photo : Nelly Gravier
(TAAF)
Par ailleurs, les moyens aériens sont limités. Il y a bien une piste d’atterrissage, au point nommé D10, situé un peu plus haut sur la calotte polaire du continent, à une dizaine de kilomètres de la station. Mais elle n’autorise l’atterrissage que de petits avions, des Basler (des DC-3 modifiés) à train d’atterrissage à ski. Ces avions font régulièrement la navette entre DDU, la station franco-italienne Concordia située à 1 100 km à l’intérieur du continent et la station italienne Mario-Zuchelli. Ils desservent aussi occasionnellement les stations américaine McMurdo et australienne Casey, ainsi qu’une piste située à D85 sur la route du raid logistique qui relie DDU à Concordia.
Arrivée du premier avion de la campagne d’été
2025-2026.
Photo : Nathan Clausse (Menuisier – TA75)
Ces avions ne relient pas l’Antarctique au reste du monde. Pour cela, le fret et les personnels empruntent des vols intercontinentaux, réalisés par des gros porteurs généralement depuis Christchurch en Nouvelle-Zélande (pour Mario-Zuchelli et McMurdo) ou depuis Hobart en Australie (pour Casey). Ces gros porteurs, type A-320 ou C-130, ne peuvent pas se poser à D10, près de DDU, pour des raisons liées à la topographie des lieux.
Pour des raisons liées à la météo, tous ces avions, petits ou gros, ne volent que de fin octobre à février.
Faute de bateau et d’avion, la Terre Adélie est donc coupée du monde entre fin février et fin octobre. Fin octobre, commencent les rotations qui vont amener les campagnards d’été, qui resteront le temps de la saison et repartiront en février, et les hivernants de l’hiver suivant venus relever ceux de l’hiver écoulé. En tout, les hivernants sont 23. Pendant l’été, avec les campagnards, ce nombre dépasse régulièrement la centaine entre DDU et la station de cap Prudhomme qui prépare et réalise le raid logistique.
Comment se répartissent les rôles durant la campagne quand campagnards d’été et futurs hivernants se côtoient ? Une fois la passation faite avec les hivernants sortants, les hivernants entrants se chargent du fonctionnement quotidien de la station : les programmes scientifiques au long cours, l’hôpital, la cuisine, la météo, les télécoms, les réseaux d’eau, l’électricité, les mécanos, la menuiserie, etc. Les campagnards d’été sont surtout là pour suivre les programmes scientifiques qui peuvent ne requérir qu’une présence occasionnelle, pour organiser la logistique liée au débarquement du fret de L’Astrolabe et des avions de passage, pour préparer et réaliser le ravitaillement de Concordia via le raid logistique, se charger des gros travaux qui ne peuvent être réaliser qu’en été (pour des raisons météo et de grand nombre de personnes sur base). C’est l’occasion de mentionner qu’une bonne partie des campagnards d’été sont des permanents de l’Institut Polaire Français, qui reviennent de campagne en campagne, et le reste de l’année depuis Brest continuent de travailler sur les projets de la station et les préparations des campagnes à venir.
Tout ce petit monde est nourri et logé. Deux dortoirs hébergent le personnel, l’un n’étant ouvert que pendant l’été quand les besoins de couchage sont les plus importants. Les chambres sont doubles l’été. Durant l’hiver, il y en a suffisamment pour que chacun ait la sienne. La station Robert-Guillard à cap Prudhomme, ouverte uniquement l’été pour le raid, peut accueillir jusqu’à 18 personnes.
En haut, le dortoir hiver (capacité
max. 64 personnes) ; en bas, le dortoir été (capacité max. 36 personnes) ;
à droite, une chambre. Photo : Nicolas Puvis (DISTA)
Au quotidien, chacun a son rôle, mais les hivernants profitent de la connaissance des stations des campagnards, qui reviennent souvent d’une campagne à l’autre, et aident souvent aux travaux d’ampleur en été. Cela leur permet d’approfondir leur prise en main de la station pour l’hiver où ils seront seuls. Enfin, les moments de convivialité tous ensemble ne manquent pas. Les repas sont pris en commun et des soirées sont régulièrement organisées (les jeudis de la science, soirées jeux, soirées à thème, soirées cinéma etc.).
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