mercredi 24 avril 2019

Pâques à DDU

Week-end de Pâques à Dumont d'Urville à travers quelques photos, essentiellement festives et culinaires. Il faut dire que l'équipe cuisine n'a pas fait les choses à moitié pour l'occasion:

Du chocolat en masse. Merci à Tony, étoile montante de la pâtisserie/chocolaterie, qui recherche toujours désespérément son pantalon noir perdu il y a quelques jours...

Tony, notre pâtissier/chocolatier de course - Crédit photo: Gaétan Heymes
Compositions personnalisées. Chaque hivernant aura la sienne. Vous pouvez chercher, vous n'en trouverez pas deux identiques.

Le cacao n'a pas été le seul à l'honneur ces derniers temps. Bertrand, notre chef de cuisine, y a veillé.
Difficile de dire quand il n'y veille pas d'ailleurs!

Maitre Bertrand en action - Crédit photo: Alain Quivoron
L'agneau était de circonstance, la découpe en direct devant les "clients" également.

Un chef heureux - Crédit photo: Alain Quivoron
Et Tony n'est pas en reste avec son chariot de desserts. Compliqué de concilier tout cela avec les visites médicales trimestrielles. Mais notre médecin est compréhensive... pour l'instant.

 Le plaisir de faire plaisir - Crédit photo: Alain QuivoronT
Et tout cela donne de bonnes tablées bien conviviales, servies quotidiennement par deux gagnants désignés au travers d'un tour de "service base" mensuel établi par un Dista relou, qui n'a décidément que ça à faire.
Il y a deux types de service base, le service de qualité et le service base de "daube". Pour être classés dans la première catégorie, certains ne reculent devant rien et sont près à tous les sacrifices vestimentaires et comportementaux. Guillaume est de ceux-là!

Un service base de qualité - Crédit photo: Alain Quivoron
Pas de sanglier aujourd'hui pour le village gaulois, mais les agapes sont bien là.

Repas de fête - Crédit photo: Alain Quivoron
Un week-end Pascal ne serait pas complet sans chasse aux oeufs. Et Tony intervient à nouveau, aidé de Maëlle et Nico B. cette fois. Fabrication de petits assortiments de chocolat emballés dans un superbe papier brillant que les spécialistes reconnaitront, puis intense moment de réflexion pour trouver des énigmes appropriées avant de camoufler les paquets cadeaux dans les endroits les plus improbables possibles à l'intérieur des bâtiments de la base.

Improbable, c'est le mot - Gaétan visite Biomar - Crédit photo: Gaétan Heymes

Claire dans la réserve - Crédit photo: Alain Quivoron
Il est désormais temps de déguster tout cela...

Repos et dégustation après la chasse - Crédit photo: Alain Quivoron
Ou d'en garder pour plus tard!

La vie est dure en Antarctique - Crédit photo: Alain Quivoron
Un grand merci à Bertrand, Tony, Maëlle et Nico B. Ils n'auront pas ménagé leur peine pour faire de ce week-end de Pâques si particulier, un précieux moment de plaisir et de cohésion qui, ajouté aux autres, constituera le fil du 69ème hivernage.

samedi 20 avril 2019

Débâcle entre les îles

Les chenaux du Lion, Buffon, Pedersen et le passage Est en eaux libres; de mémoire de campagnard d'été (contacté pour l'occasion), on n'avait pas vu ça depuis quelques années.

Débâcle complète dans l'Est de l'île des Pétrels - Crédit photo: Virgil Decourteille
"Venté, gris, doux et neigeux"
C'est ainsi que Gaétan, notre ingénieur météo, qualifie le mois de mars dans son résumé climatologique mensuel.
Mois caractérisé par le passage régulier (tous les 3 à 5 jours) de tempêtes accompagnées de neige, vent fort et relative douceur.
Cette situation n'a pas été sans incidence sur l'activité de la base pour la période considérée. En effet, la conjugaison de celle-ci avec le passage d'une dépression très creusée au large de DDU la samedi 16 mars, générant ainsi une forte houle, a été à l'origine de la désagrégation de la banquise pluriannuelle présente entre les Pétrels, le Lion et les îles de la ZSPA 120 (Zone Spécialement Protégée de l'Antarctique n°120). Pour ceux qui en doutaient encore, notre base est bien implantée sur une île.

A propos de cette fameuse dépression, Gaétan toujours, nous indiquait le 17 mars par message  interne que:
"Celle-ci s'est creusée rapidement jusqu'à 942 hPa en fin de nuit de vendredi à samedi, au Nord-Ouest de DDU (959 hPa au niveau de la mer aux Pétrels hier après-midi). A l'Ouest de ce creux, le fetch (champ d'action du vent en mer pour former la houle) s'est considérablement amplifié, en raison du déplacement rapide vers l'ESE de ce minimum dépressionnaire. Le pic de houle au large a eu lieu hier entre 19 et 22h, avec une hauteur significative (moyenne du tiers des plus fortes vagues) de 7mètres et une période (temps séparant le passage de deux vagues consécutives) de 13 secondes. Elle s'est ensuite propagée jusqu'à DDU, atténuée par le pack au large. C'est cette houle longue, énergétique, que vous pourrez encore voir aujourd'hui, même si elle s'amortit.
Ci-après, la modélisation de l'état de la mer (couleur: mer totale, flèche: direction et hauteur significative de la houle totale) hier à 16 loc".

Etat de la mer au large de DDU le 16 mars à 16h00 loc
Après quelques jours de grand ménage venté, les chenaux sont complètement débarrassés de leurs glaçons, petits et gros. Les connaisseurs apprécieront...

Chenal Buffon - Crédit photo: Alain Quivoron
Le chenal Buffon, entre la piste du Lion (avec ses installations logistiques) et les Pétrels. Vue prise de la descente Antavia à partir de la passerelle d'accès à l'abri-côtier et à la SPEM. L'île Claude  Bernard en face et le glacier de l'Astrolabe en arrière plan. Qui a dit qu'il ne fait pas beau en Antarctique?

Chenal Buffon et île Lamarck - Crédit photo: Alain Quivoron
La congère Antavia est toujours présente et l'anse de la Baleinière reste prise par les glaces sur l'île des Pétrels. En arrière plan, on aperçoit l'île Lamarck et son "donjon" côté gauche.

L'anse du Pré et le passage Est - Crédit photo: Alain Quivoron
L'anse du Pré et ses installations de stockage de gazole (vue partielle). Elle reste encore partiellement englacée. En arrière plan à gauche, le passage Est permet de naviguer en laissant la piste du Lion et l'île Bernard au Nord et l'île Lamarck au Sud.

Chenal Pedersen - Crédit photo: Alain Quivoron
Le chenal Pedersen permet de longer la côte Sud de l'île des Pétrels (zone du mât ionosphérique ou mât "iono") pour aller de l'îlot du Marégraphe à l'anse du Pré. Ile Jean Rostand à gauche, île Le Mauguen à droite.

 Vue globale de la partie Sud Est de la zone - Crédit photo: Gaétan Heymes 
Carte des Pétrels, du Lion  et des îles de la ZSPA 120
Dur constat pour Virgil et Douglas, nos deux ornithologues, qui se voient désormais cantonnés sur un site quasi vidé de ses colonies d'été alors même qu'entre les îles Lamarck et Rostand, les arrivées de manchots Empereur se font chaque jour plus visibles comme le montre la photo suivante prise vers la fin du mois de mars.
La jeune banquise en formation est encore trop faible pour autoriser la circulation piétonne en toute sécurité mais, à -15°C, les choses évoluent vite. L'oiseau emblématique, qui présente la particularité de se reproduire en hiver, sera très bientôt à portée de valise RFID!

Ils arrivent! - Crédit photo: Gaétan Heymes



mardi 16 avril 2019

A la recherche des manchots Adélie transpondés: la dispersion



Journée sur les Iles de Ifo et Fram du 19 décembre 2018
A la recherche des manchots Adélie transpondés : la dispersion.

Cette mission consistait à la pose de valises RFID dotées d’antennes mobiles afin de pouvoir détecter le déplacement de manchots Adélie transpondés de la colonie Antavia (cf article précédent sur la manip transpondage).

En installant ces systèmes sur des sites éloignés de notre colonie pendant plusieurs semaines, on peut détecter de manière opportuniste le passage de nos manchots transpondés : ceux qui sont en vadrouille !
Cet été, nous sommes allés à différents endroits autour de l’île des Pétrels, parfois à pied, ou en bateau (Fig. 1) et hélicoptère (merci l’IPEV !), pour poser ces « antennes à dispersion » :  Cap Jules (environ 30 km), Cap géodésie, les îles Ifo, Fram et Gouverneur…
 
Fig.1: L'équipage en route vers les îles Ifo et Fram - Crédit photo: Mervyn Ravitchandirane - IPEV
 
Nos antennes mobiles sont constituées de deux valises : une valise d’alimentation avec des batteries et un panneau solaire, ainsi qu’une valise d’acquisition constituée d’un module électronique et d’une antenne (Fig. 2).

Fig.2: Les valises d'alimentation et d'acquisition des antennes - Crédit photo: Mervyn Ravitchandirane - IPEV
  
La pose de ces valises se fait de façon stratégique afin qu’elles soient le plus efficace possible : il faut les placer sur les chemins de passage réguliers des manchots ainsi que dans un endroit relativement ensoleillé (Fig. 3).

 
Fig.3: Repérage du lieu afin de poser les valises au meilleur endroit possible - Crédit photo: M. Ravitchandirane - IPEV
 
 Une fois le meilleur endroit trouvé, il faut étendre l’antenne (câble fin posé au sol horizontalement sur plusieurs mètres) et la placer sous la neige pour la camoufler   (Fig. 4).

Fig.4: Pose et mise en oeuvre des valises et de l'antenne - Crédit photo: Mervyn Ravitchandirane - IPEV
  
Ainsi, durant l’été, 11 sites ont été étudiés. Sur ces 11 sites, allant de quelques centaines de mètres de notre colonie à plusieurs dizaines de kilomètres, nos antennes ont détecté 2 280 passages ! Certains individus y sont passés plusieurs fois, avec in fine la détection de 262 profils différents.

Comme tous ces manchots Adélie transpondés figurent dans notre base de données, il est possible de connaitre l’identité de chacun. Par exemple, on peut se rendre compte qu’une grande partie de ces individus (presque la moitié !) sont des « juvéniles », c’est-à-dire des oiseaux transpondés au stade poussin en 2016, qui ont donc maintenant 3 ans. On voit que lorsqu’ils sont jeunes, les manchots ont cette capacité à explorer de nouvelles colonies, à aller voir de nouveaux sites : eux aussi ont envie de voir le monde ! A moins qu’ils ne se soient perdus… !

La plupart de ces juvéniles sont aussi revenus dans la colonie Antavia cette année : peut-être que, l’année prochaine, ils éliront notre colonie pour y tenter leur première reproduction ? Affaire à suivre….

D’autres individus, des adultes cette fois-ci, sont aussi détectés. Ce qui nous intéresse, c’est la part de ces adultes qui ne reviennent pas dans la colonie Antavia depuis un an ou plus. Sur les 262 individus détectés, environ 50 manchots Adélie sont concernés. Ainsi, environ 19 % des oiseaux détectés ne sont pas revenus depuis une année à la colonie Antavia. Cette part renseigne sur les capacités de dispersion de cette espèce, c’est-à-dire sa propension à coloniser de nouveaux endroits. C’est une donnée très importante en écologie et en dynamique des populations, car ces individus que l’on ne voit plus dans la colonie ne sont donc pas morts, mais simplement allés se reproduire ailleurs.

Ce comportement de dispersion peut aussi refléter les capacités d’une espèce à s’adapter face à des changements venant perturber leur colonie : par exemple dans un contexte de changements environnementaux et climatiques, arriveront-ils facilement à quitter la zone pour chercher de nouveaux sites potentiels de reproduction ?

La dispersion est donc une facette très importante de la vie des manchots, que l’on étudie à partir de la base DDU et qui nous offre la possibilité de partir nous aussi, le temps de quelques journées, en « dispersion » !

Douglas Couet (manchologue p.137 TA69) et Mervyn Ravitchandirane (instrumagicien TA69).



vendredi 22 mars 2019

Léopard de mer et prédation



La semaine dernière, Douglas nous expliquait les mécanismes et objectifs du transpondage des manchots Adélie. Virgil, notre deuxième ornithologue, nous présente aujourd'hui un article où il est encore question, pour son malheur cette fois, de cet oiseau poisson mais surtout d'un nouveau venu: le léopard de mer. Ce redoutable prédateur se trouve être à l'origine de graves déboires pour les jeunes Adélie rejoignant la mer, forts de leur récente autonomie et de leur livrée blanche et noire toute neuve.
Des photos rares et impressionnantes sur une situation que peu d'hivernants ont probablement eu l'occasion de vivre.


Léopard de mer et prédation



Aujourd'hui, nous vous proposons un petit cours naturaliste sur la Terre Adélie. A ne pas confondre avec naturiste au risque d'attraper froid (surtout en ce moment avec -5°C au max de la journée).
 Ici, on fait vite le tour (naturaliste donc) avec seulement 9 espèces d'animaux se reproduisant sur place: manchot empereur, manchot Adélie, pétrel des neiges, pétrel géant antarctique, damier du Cap, fulmar antarctique, labbe antarctique, océanite de Wilson, phoque de Weddell.
 
Manchot Adélie en fin de mue - Crédit photo: Virgil Decourteille

Pour nous changer les idées, l’office du tourisme envoie de temps en temps d’autres espèces pour des passages plus ou moins longs. En début de saison, nous avions ainsi un goéland dominicain. Les skuas locaux ont décidé de mettre fin à son séjour (plutôt radicaux ces skuas). Mi-janvier, nous avons eu la visite d’un manchot à jugulaire, sûrement venu pour acheter du terrain. Il est reparti le lendemain, peut-être que les Adélie ne voulaient pas de lui comme voisin. Fin janvier, une femelle éléphant de mer nous a rendu visite pendant une journée. Ces dernières semaines, c’est un léopard de mer qui s’occupe de l’animation locale. 

Léopard de mer - Il parait débonnaire et souriant - Ne vous y fiez surtout pas - Crédit photo: Virgil Decourteille




Sous l'eau - Moins engageant déjà ! - Crédit photo: Virgil Decourteille

C’est la fin de l’été, le froid arrive et la banquise va commencer à se reformer. Il est temps pour les poussins de partir. Ça tombe bien parce que ces poussins ressemblent fortement à de bons gros nuggets* pour nos amis les léopards. 

Fin février, c’est la période de mise à l’eau des poussins de manchots Adélie. Moment crucial de leur vie, le premier grand bain, le tremplin pour apprendre à chasser et à se déplacer en mer dans laquelle ils passeront la majeure partie de leur vie. De nombreux manchots se rejoignent non loin de la piste du Lion pour partir à l’eau. Ces derniers jours, il leur faut traverser une longue et fine couche de jeune banquise pour rejoindre la mer. Les bords de rives sont abrupts mais rien de bien compliqué normalement, une simple petite marche de santé. 
Sauf quand les léopards s’invitent à la partie. 

Les premiers temps, on a pu voir le léopard rôder le long du bord à attendre des manchots isolés sur des morceaux de glace à la dérive. 
Par la suite, de petits groupes se sont formés pour rejoindre l’eau libre. 
Cette première mise à l’eau est toujours compliquée pour les poussins. D’un côté, on se rend bien compte en les observant, prêts à se lancer, que la mer est un objectif incontournable mais, de l’autre, on voit clairement qu’ils ont une peur bleue de franchir le pas, hésitant pendant de longues minutes, voire de longues heures, avant de se décider. On peut les comprendre, tout ici leur est inconnu. 

Un petit groupe se rapproche finalement du bord de côte et s'engage sur la jeune banquise. 
Au même moment, on aperçoit la tête du léopard sortir de l’eau à l'extérieur de la zone englacée pour effectuer une petite reconnaissance. L’apparition est rapide. Il reprend sa respiration et disparait discrètement sous l’eau. On se doute qu’il n’est pas là par hasard. Il devrait donc frapper dans les minutes qui viennent. Nous avons le sentiment que quelque chose d'irrémédiable se prépare.

La traversée de l'angoisse - Crédit photo: Virgil Decourteille

Et c'est au tour du léopard de traverser la banquise, mais pas de la même manière que les Adélie. Venant du dessous, il passe à travers la glace en poussant avec sa tête pour la briser et capturer les petits manchots. Les quelques centimètres d'épaisseur de glace ne lui posent aucun problème. Le spectacle est incroyable, on observe la nature dans toute sa splendeur. C’est un peu comme voir un lion chasser dans la savane, c’est une scène cruelle mais tellement extraordinaire. 
 
Attaque du léopard à travers la jeune banquise - Crédit photo: Virgil Decourteille

Quand il rate son coup, il disparait de nouveau sous la banquise pour retenter ça chance. On peut voir ses déplacements par transparence sous la glace. La surface se déforme dès qu’il pousse. Cela nous permet de le localiser et même de deviner où il va frapper. Les attaques sont rapides et sa capacité à traverser le bouclier de glace de 5 à 10 cm d'épaisseur parait d'une déconcertante facilité.

Impact sous la glace - Crédit photo: Virgil Decourteille

Le danger se précise - Crédit photo: Virgil Decourteille

Cette fois, il est bien là ! Crédit photo: Virgil Decourteille

A chaque fois c’est la panique totale chez les manchots. Les mouvements sont aléatoires, le stress en fige certains au milieu de cette banquise fine. Au bout de quelques attaques, on se rend compte que l'on est finalement en présence de deux léopards et que chacun opère de son côté. Les manchots ayant choisi ce jour pour partir vers la mer ne seront pas très chanceux… En quelques heures, on verra une dizaine d'entre-eux se faire attraper. 

Une technique bien rodée - Crédit photo: Virgil Decourteille

La vie du manchot n'est pas toujours facile - Crédit photo: Virgil decourteille

Lequel choisir? Crédit photo: Virgil Decourteille
Et sinon? il ressemble à quoi ce redoutable léopard mangeur de nuggets*? Et bien à un phoque, mais avec une tête massive. Une fois que vous la voyez, vous ne pouvez pas vous tromper. Par ailleurs, les tâches brunes sur son corps sont bien marquées. Il mérite bien son nom de léopard. Le mâle fait la taille d’un phoque adulte et mesure 2,8 à 3,3 mètres pour un poids de 300kg. La femelle est plus grosse et mesure environ 4m pour 500kg. Quand les deux vous passent devant, la différence est flagrante !
Les léopards de mer passent La majeure partie de l’année dans le pack. Le pack, c’est cette ceinture autour de l’antarctique constituée de morceaux de banquise et d’icebergs. Quand ils en sortent c’est pour profiter des colonies de manchots (comme ici). On connait assez peu cette espèce, il semblerait qu’elle ne plonge pas très profond par rapport à d'autres espèces voisines (quelques centaines de mètres - à rapprocher des 1000 à 1500 m de l'éléphant de mer). Leur régime alimentaire est constitué de krill (la base de la chaine alimentaire de l’antarctique), de poissons et d’oiseaux. Quand on dit oiseaux, voyez surtout ici des manchots. Il n'est pas facile en effet d’attraper pétrels et damiers qui ne font que tremper le bout de leurs pattes pour se nourrir (sûrement parce qu’ils trouvent l’eau trop froide). 


Le léopard de mer dans toute son imposante splendeur - Mâle ou femelle ? Crédit photo: Virgil Decourteille
Nuggets*:cette appellation est vouée à ne pas effrayer les enfants sur la réalité du repas


jeudi 14 mars 2019

Le transpondage 2019 des Adélies est terminé !

 Douglas, un des deux ornithologues de la TA69 développe dans cet article une présentation sur le suivi d'un oiseau qui a beaucoup intrigué le capitaine de vaisseau Jules Dumont d'Urville et ses équipages à bord des corvettes l'Astrolabe et la Zélée quand, en 1840, ils arrivèrent en vue de l'archipel des iles de Pointe Géologie. Le manchot Adélie, du nom de la terre nouvelle ainsi découverte, est le principal habitant historique de l'ile des Pétrels située sur ce même archipel et qui abrite désormais la colonie "Antavia".


Le transpondage 2019 des Adélies est terminé !

Mais en fait, c’est quoi le transpondage ?

C’est ça, en cours dans la colonie d’étude Antavia, vu par un skua (labbe antarctique) !
 


Figure 1 La colonie d’étude Antavia au mois de février 2019 - Crédit photo: Virgil Decourteille

Explications !
Un transpondeur, ou Pit-tag en anglais, c’est tout simplement une puce électronique, adaptée pour les animaux (les chats, les chiens… ou encore les manchots d’Antarctique !).
Inerte et sans batterie, elle est activée par un champ électromagnétique (par exemple créé par une antenne posée au sol), et va transmettre en retour un code unique qui lui est associé. Ce code, c’est la carte d’identité de l’animal, en l’occurrence le manchot Adélie pour ce qui nous concerne, dans le programme 137 « ecophys-Antavia ». Ce programme, soutenu par l’IPEV, est mené par des chercheurs du Département Ecologie, Physiologie et Ethologie (DEPE) de l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC) à Strasbourg.



Figure 2 Un transpondeur - Crédit photo: Douglas Couet

L’objectif du programme 137 est d’étudier les évolutions au long terme des manchots Adélies. On souhaite comprendre comment ces animaux réussissent à vivre et à s’adapter dans cet environnement extrême, qui présente beaucoup de contraintes : de la nourriture qui n’est pas toujours identique d’une année sur l’autre (suivant des processus océanographiques), de la banquise qui peut être d’une longueur de 100 m à 100 km de leur colonie (il faut alors marcher et non nager, c’est très difficile pour un manchot !), parfois de la pluie… En résumé, une des questions qui nous taraude est : de quelle manière les ressources de l’océan et l’état de la banquise peuvent jouer sur la survie, le succès de reproduction, et la pêche en mer, de ces organismes étonnants ?



Figure 3 Un groupe de manchots Adélies adultes prêt à partir en mer pour se nourrir. Certains sont peut-être transpondés depuis 8 ou 10 ans...    Crédit photo: Douglas Couet

Pour cela, on a mis en place un suivi de la colonie, mais également un suivi beaucoup plus fin, à l’échelle individuelle, depuis plusieurs années. C’est là que le transpondage entre en action : on associe à chaque poussin qui nait dans notre colonie d’étude un transpondeur (un code unique, que lui seul possède), que l’on va pouvoir détecter dès son retour à la colonie, toute sa vie. On a de la chance car les manchots ont une grande tendance à revenir sur le site exact de naissance (ils ont un fort degré de philopatrie). Ainsi notre site d’étude, le canyon étroit d’Antavia, est équipé d’antennes à ses deux seules entrées. On aura donc au cours d’une saison de reproduction les entrées et sorties de tous les individus transpondés. C’est automatique, et ça ne nécessite pas de les recapturer une deuxième fois ! C’est de la technologie au service de l’ornithologie, sans le biais du baguage classique.
Le transpondage se fait donc au stade poussin, juste avant qu’ils ne partent en mer (on parle « d’envol »… même chez les manchots !), en février. C’est la fin de l’été, où il peut parfois faire froid, alors on chausse les bonnets et les gants, et on y va !
La pose du transpondeur nécessite une équipe de manchologues et de leurs manipeurs de l’extrême sans qui cette manip serait compromise. Cette année, Delphine et Douglas s’occupaient du transpondage, et Pierrick était à l’œuvre pour gérer les tubes de sang, et la prise de note. Nous avions pour nous aider à chaque séance deux manipeurs qui allaient les chercher dans la colonie et maintenaient les poussins. C’était l’occasion pour les personnes présentes sur base d’approcher de près ces petits animaux de quelques kg. Le transpondeur est posé en sous-cutané dans le bas du dos entre la cuisse et la queue, à l’aide d’une aiguille désinfectée. Chaque poussin est également pesé, mesuré et une prise de sang est faite pour notamment le sexer, et faire des études de génétique et d’isotopie.


Figure 4 Capture du poussin "en crêche" - Crédit photo: Nicolas Braibant

 

Figure 5 Pierrick et son matériel pour les prises de sang - Crédit photo: Nicolas Braibant



Figure 6 Delphine et Mervyn en pleine prise de sang - Crédit photo: Nicolas Braibant

Cette année fut une très bonne année pour les manchots Adélie, puisque 268 poussins de la colonie d'étude ont été transpondés et sont allés à l’envol (c’est-à-dire rejoindre la mer !). L’année dernière, moins de 20 avaient réussi à partir en mer, à cause des conditions très difficiles de banquise.
Année après année, nous avons donc une belle base de données qui se constitue, avec maintenant plus de 2 000 manchots transpondés à Antavia !
Dans un prochain article, je vous présenterai quelques petits résultats sympas que le transpondage peut nous donner sur la vie des manchots... Big brother is watching you !

Douglas Couet – VSC Ecophys-Antavia p.137 – TA69