On reprend notre série de portrait, avec celui de Lise, notre menuisière jurassienne tout terrain !
Lise Moulin, menuisière en Antarctique - © Romain Fernandez (Chef centrale)
"Menuisière à DDU ?? Mais tu vas faire quoi là-bas ? Il n’y a pas un arbre !! Voilà ce que j’ai beaucoup entendu quand j’ai annoncé à mes proches que je postulais pour partir en Antarctique. Il est possible que vous ne pensiez pas non plus qu’il y a un poste de menuisier ici. Et pourtant, j’ai largement assez de bois et de travail sur place ! C’est donc le 1er décembre que je suis partie de France pour rejoindre la Terre-Adélie et prendre ce poste de menuisière. Je ne savais pas encore concrètement ce que j’allais devoir faire, mais j’étais très attirée par l’aventure humaine, professionnelle et bien sûr la découverte d’un environnement incroyable et atypique. D’un point de vue social, c’est une vraie expérience que de vivre isolé si longtemps à 24 ! Pour le côté professionnel, je savais qu’il y avait tout de même un bel atelier ainsi qu’un joli stock de bois et que les missions étaient variées entre fabrication et réparations. Je voulais me confronter à l’absence directe d’un leroy merlu ou autre magasin à proximité, se débrouiller avec l’équipe technique pour réparer et faire en sorte que la station s’améliore au cours du temps. J’étais loin d’imaginer le lot de surprise que me réservait l’hivernage et l’intensité de ce que j’allais vivre !
D’un point de vue boulot, je crois que ma grande surprise est venue de la neige, je ne pensais pas qu’elle était aussi fourbe. Capable de rentrer dans une tête d’épingle ! Avec les différentes tempêtes que nous avons ici et le vent catabatique, soufflant facilement à 150km/h, la neige s’introduit dans le moindre interstice… Une partie du travail consiste donc à réparer les fenêtres et portes, essayer de faire de son mieux pour limiter les entrées de neige même si on ne peut pas forcément faire des miracles partout, il faut parfois accepter de laisser un peu de neige rentrer lors des fortes tempêtes.
En été, on fait le maximum de chantier en extérieur, et les principaux entretiens sur les bâtiments existants. On profite d’un peu de beau temps pour changer aussi des fenêtres, refaire des joints silicone d’étanchéité. Car je vous l’assure pour avoir essayé, faire un joint par -20°C, c’est beaucoup moins rigolo !
Chantier de couverture durant l'été - © Ugo Chevalier (Responsable Technique)
L’autre partie de mon travail consiste à améliorer le mobilier de la base, réparer celui existant, et faire des améliorations. Mon prédécesseur avait par exemple eu la chance de refaire un joli bar. De mon côté, j’ai refait un gros meuble de rangement pour les éléments de rescue, ainsi que des cloisons pour faire un nouveau bureau tout neuf pour le Dista. Les projets sont variés et c’est assez chouette d’avoir un si bel atelier, malgré le fait qu’on soit si loin de tout. Il y a tout de même un bon stock de panneaux et de bois massif (venant de Tasmanie) qui arrive par l’Astrolabe. S’il nous manque des pièces de quincaillerie ou autre, nous disposons d’un magasin général où l’on peut espérer trouver notre bonheur. Si ce n’est pas le cas, il ne nous reste plus qu’à aller voir l’équipe pour essayer de bricoler quelque chose pour remplacer l’élément manquant ! Soudure, tournage/fraisage ou impression 3D, toutes les solutions sont bonnes pour réparer.
Ma plus grande surprise en dehors de mon travail à la menuiserie sont les manips avec les Ornithos ! Nous sommes ici principalement pour la science, et nous avons la chance de pouvoir aider les scientifiques pendant leur travail sur le terrain. En effet, une sortie sur la banquise oblige d’être à 2 personnes ou 3 selon les zones. J’ai donc eu la chance de pouvoir découvrir de prêt toute la faune qui nous entoure, en passant bien sûr par le vomi de Pétrel ! En été, c’était surtout de l’observation sur les Pétrels des Neiges, mais j’ai aussi cherché avec Natacha, l’ornithologue du programme 109, les nids d’Océanites, ou encore fait des contrôles sur les colonies de Fulmar et le baguage des poussins de Skuas. Avec Simon, les manips consistaient à aller s’allonger sur la banquise et enregistrer les phoques qui vocalisent. En hiver, les sorties de terrain se concentrent principalement sur le Nunatak, une zone où séjourne la colonie de Manchot Empereur. C’est une chance incroyable de pouvoir suivre la vie de cette colonie, et admirer les petits poussins grandir ! Rester par exemple 3-4h à regarder des Manchots Empereurs se battre pour des poussins, c’est notre télé à nous !
Une autre petite partie du travail consiste au quart de centrale, où il faut surveiller les groupes électrogènes et contrôler différents paramètres lors des rondes. Il est important d’être présent au cas où une alarme se déclenche afin de réveiller les membres de l’équipe technique concernés (électro, plombier ou centralien).
Le reste du temps, je profite un maximum de l’extérieur lorsque le temps le permet. Je me suis vraiment rendu compte ici que les balades étaient ce qui me nourrissait ! Quel plaisir de pouvoir aller se balader sur la banquise, voir les icebergs d’un peu plus près. On a pu tester le skating, le ski de rando et même le vélo ! Hâte d’avoir une surface lisse pour essayer le patin à glace ! Les journées un peu plus grises, je profite de mon atelier pour bricoler des cadeaux d’anniversaire made in DDU. On fait beaucoup de jeux de société ou de cartes. Les Coinches et Toc occupent un grand nombre de soirées ! La vie en groupe est vraiment chouette, on a la chance d’avoir une super équipe aussi bien entre les techniques qu’avec les autres métiers, d’avoir aussi un Cuistot et une Pâtissière en or qui nous régalent tous les jours.
Déjà petite, j’entendais parler des Expéditions Polaires car j’habite à Prémanon où se situe le musée Paul Emile Victor, consacré au milieu Polaire. Ce monde m’émerveillait, mais je ne m’imaginais pas y accéder un jour. Alors comment j’ai entendu parler d’un poste de menuisière là-bas ?! Ce fut au hasard d’un barbecue avec mon colloc où je rencontre Benoit, un plombier qui est allé plusieurs années à Concordia et qui me raconte ses aventures, il me conseille alors de regarder la fiche de poste. L’idée germe petit à petit et ne s’enlève plus du tout de mon esprit ! C’est donc avec mon BP de menuiserie en poche que je décolle vers la Terre Adélie !
Je ne sais pas comment je vais faire maintenant pour quitter cet endroit sans vouloir y retourner ! Les paysages sont si magiques, entre les Icebergs les lumières de folie aux couchers et levers du soleil, les aurores, les manchots et phoques qui nous entourent ! Tous les jours les paysages nous réservent une nouvelle surprise pour nous émerveiller, même après 9 mois passés sur cette petite ile !