mercredi 31 juillet 2019

Etre boulanger/pâtissier à DDU



Après l'ornithologie, c'est de boulangerie et de pâtisserie qu'il va être question avec Tony qui nous explique les spécificités de son métier dans l'environnement antarctique et nous présente quelques unes de ses réalisations de l'hivernage. Pour la partie chocolaterie (qui est également la sienne), un petit retour à l'article "Pâques à DDU" s'impose.


Etre boulanger/pâtissier à DDU

Depuis bien longtemps, l'institut polaire recrute un VSC (Volontaire du Service Civique) boulanger-pâtissier, pour travailler dans le cercle polaire Antarctique.
Pour cette 69 ème mission,  j'ai été sélectionné alors même que mes études n'étaient pas encore terminées.

Seuls, une soixantaine de boulangers-pâtissiers au monde ont eu la chance de travailler dans un endroit aussi magique ; contempler les icebergs, admirer la progression de l'embâcle et s'extasier devant le passage des colonnes de  manchots "Empereur" tout en montant une crème chantilly est quelque chose de presque imaginaire.

Travailler dans ce milieu plus fantastique que réel demande une adaptation quotidienne quant à la réalisation de certaines préparations.
Le froid et la faible hygrométrie par exemple, sont des paramètres à prendre en compte lorsque l'on fait du pain ou de la pâtisserie.

Ici en Antarctique, pour des raisons de conservation, la farine est préalablement étuvée, son taux d'humidité n'est donc plus  de 16% mais plutôt aux environs de 6. Cette différence d'hygrométrie demande une adaptation particulière lors de la confection de la pâte à pain.  Pour obtenir un résultat correct,  il faut en effet davantage hydrater la pâte tout en prenant en compte le pourcentage d'humidité du milieu qui, depuis l'embâcle, tourne bien plus souvent autour des 45-50% plutôt qu'autour des 75 comme en France par exemple.
Ce problème est également présent pour certaines préparations de pâtisserie.  Le fondant ( glaçage des éclairs) doit être additionné d'une juste proportion d'eau ou de sirop avant d'être appliqué sur la pâte à choux, et la température d'utilisation doit tourner autour des 36°c. Malgré tout, lorsque l'hygrométrie est basse, j'ai remarqué qu'il était préférable non seulement d'ajouter plus d'eau mais aussi de chauffer un peu plus (39-40°c)  afin que le fondant puisse tenir sur l'éclair sans s'humidifier ou au contraire sécher et craquer.

Dans la cuisine, qui fait aussi office de laboratoire de pâtisserie et de fournil, la température est correcte non grâce au chauffage qui lui est éteint mais grâce à la chaleur fournie par les fours.
Le froid n'est donc pas un très gros inconvénient ici. Au contraire !
Lorsqu'une préparation doit-être congelée, inutile de traverser une partie de la base pour rejoindre le bâtiment « -20°c » à une cinquantaine de mètres de la cuisine lorsque le blizzard et les températures extrêmes sont au rendez-vous. L'air pur et froid ainsi que l'absence d'insectes et de rongeurs  me permettent de refroidir rapidement voire congeler certaines préparations à des températures comprises entre -20 et -30°C à l'extérieur en hiver.

Mais ces conditions spéciales liées au climat antarctique n'empêchent pas pour autant de faire plaisir à toute l'équipe à travers l'élaboration de desserts variés et adaptés aux goûts de chacun, comme ceux présentés ci-après:

Pain ordinaire boule et baguette - Crédit photo: Tony Aubry

Baguette épi aux graines de pavot - Crédit photo: Tony Aubry
 
Pièce artistique en chocolat - Crédit photo: Tony Aubry

Entremet fraise-verveine-pamplemousse - Crédit photo: Tony aubry

Eclaireur vanille-cointreau - Crédit photo: Tony Aubry

Saint-Honoré - Crédit photo: Tony Aubry

Pièce-montée - Crédit photo: Tony Aubry


 C'est avec plaisir que je vous retrouverais dans ma cuisine Adélienne si vous le souhaitez!

Tony


Etre ornithologue à DDU

Dumont d'Urville est avant tout une base scientifique avec tout ce que cela sous entend de travail de recherche et d'observation un peu mystérieux pour les non-initiés. C'est également la porte d'accès terrestre privilégiée à la station de Concordia. Ses capacités logistiques sont donc en rapport avec cette situation. Mais DDU est aussi un village capable de vivre en autarcie complète durant les huit mois d'isolement imposés par l'hiver austral. La Mission TA69 et ses 23 membres forment l'actuelle communauté de ce village. Un petit monde de diversité d'origine, d'âge, de culture, de sensibilité et de fonction. A chacun son métier. Certains ont souhaité en parler.
Douglas et Virgil, ornithologues du programme 137 de l'IPEV pour le premier et du programme 109 pour le second sont de ceux-là.


Etre ornithologue à DDU


La grande spécificité de DDU, c’est d’avoir une colonie d’empereurs juste à côté, dans notre jardin (juste en bas du « Pré »). C’est d’ailleurs une des raisons de l’établissement de la base sur cet archipel, alors qu’aucune autre base en Antarctique ne vit l’hiver aux côtés de ces animaux fantastiques.

Colonie de Manchots "Empereur" près de l'ile Rostand - DDU au fond à droite sur l'ile des Pétrels - Crédit photo: Virgil Decourteille

Pour nous, ornithologues de la mission 69, c’est donc une opportunité et un privilège incroyable que de pouvoir travailler chaque jour auprès de ces animaux. C’est la cerise sur l’omelette norvégienne (il y a des compétitions d’omelettes norvégiennes ici, pour le plaisir de tout le monde).

En 1951, la base Française est située à Port-Martin, à 70 km de DDU. Lorsque le premier groupe de la mission Barré vient voir les empereurs sur l’archipel de Pointe Géologie, ses hommes ont conscience d’être parmi les premiers au monde (avec les pionniers de la mission Liotard de 1950, et peut-être de celle de Mawson en 1914) à observer les empereurs en « tortues », en pleine saison de reproduction. On ne connait alors presque rien de ces animaux. La banquise étant large de 100 km, le biologiste Cendron cherche aux alentours de la colonie des accès à l’eau. Stupéfaction : il n’y en a pas. Première question : comment peuvent-ils se reproduire ici, et continuer à s’alimenter, s’ils n’ont pas d’accès à la mer libre ?
Une des réponses vient en réalisant des autopsies sur quelques individus prélevés : tous sont des mâles. Ils en déduisent que les femelles sont toutes en mer, et que les mâles doivent « jeûner », pour quelques semaines au plus, en attendant la relève, et s’offrir ensuite une belle randonnée jusqu’à la mer. Il leur aurait alors été difficile de croire que les mâles jeûnent 3 à 4 mois, dans le blizzard hivernal et la nuit polaire  avec un œuf unique à garder au chaud sur les pattes ! 
Chaque aspect de la vie de ces animaux est à l’image du continent : hors-normes.
La saison de reproduction commence à la fin de l’été, en avril. Les 7 000 à 8000 individus de la colonie de Pointe Géologie arrivent, chantant et paradant pour trouver un partenaire. C’est chose faite en avril et en mai, avec la formation des couples pour la nouvelle saison et les copulations qui s'ensuivent.

Colonne d'Empereurs - Crédit photo: Virgil Decourteille

 Copulation - Crédit photo: Virgil Decourteille

En mai, les femelles pondent et passent l’œuf aux mâles, bien contents de rester sur place pendant que celles-ci vont aller reprendre des forces en mer. Il leur faut alors parcourir à pied/patte (ou en glissant sur le ventre) la distance les séparant de la mer, puisque pendant tout ce temps romantique, la banquise s’est formée sur une largeur d’environ 100 km. La petite base de Dumont D’Urville passe donc à partir de ce moment le plus fort de son hiver avec « ses »  3 500 mâles couveurs, jusqu’en juillet.

 
Monsieur couve - Crédit photo: Virgil Decourteille

On voit la colonie bouger suivant les tempêtes, résister aux – 25°C et aux assauts du vent catabatique. La colonie est relativement calme et soudée. Enfin, le retour des femelles en juillet, avec le petit challenge de retrouver, au chant, son mâle. C’est le début de la cacophonie ! Après les retrouvailles, le mâle lui passe l’œuf, ou même le poussin puisque c’est aussi le temps des éclosions, après une incubation de 62-67 jours. Le mâle peut avoir perdu, pendant ces 3 à 4 mois, 45 % de sa masse ! Il est « svelte » pour rejoindre à son tour l’océan, qui ne s’est pas pour autant rapproché… La femelle passera alors 1 mois à bichonner son poussin, avant le retour du mâle.

 
Au chaud sous la couette - Crédit photo: Virgil Decourteille

Après environ 40 jours, le poussin prend son « émancipation thermique », un joli mot pour dire que ses parents l’abandonnent pour faire des trajets réguliers et fréquents entre la mer et la colonie pour le nourrir. Les poussins s’organisent alors ensemble et forment eux aussi leurs tortues, pour se protéger du froid et des méchants Pétrels Géants, qui profitent de la colonie pour reprendre leurs quartiers dans le coin. Grâce aux trajets incessants des parents,les poussins vont prendre 10 à 14 kg, avant de pouvoir, au début de l’été, prendre leur « envol » (les manchologues ont de l’humour). C’est alors décembre et la saison de reproduction se termine !
Nous sommes donc les seuls en Antarctique (pour ne pas dire dans l’univers intergalactique) à suivre entièrement la reproduction de l’Aptenodytes forsteri, et de pouvoir l’étudier conformément aux protocoles de nos programmes. 
Au programme 137- Ecophys, l’acoustique prend une part importante puisque c’est un outil très utilisé par ces animaux : Les empereurs couvent leur œuf sur leurs pattes et n’ont pas de nids. Ils se déplacent en groupes (en « tortues ») au gré des tempêtes et des accalmies. Aucun autre manchot (ou oiseau à ma connaissance) ne se reproduit sans nid, en étant constamment en mouvement (même les manchots royaux restent globalement dans une zone précise, et ne font pas de « tortues »).
Alors comment, dans une colonie de 3 500 couples, retrouver son partenaire après une absence de 2 mois ? 


Trouvez Charlie - Crédit photo: Virgil Decourteille
Le chant est la clef de la localisation et de la reconnaissance des deux partenaires, c’est ce qui permet à cette espèce de se reproduire, année après année.
Grâce à notre protocole de transpondage des poussins empereur en place depuis 2009, nous avons maintenant de nombreux reproducteurs transpondés qui reviennent chaque année. Ainsi, il est possible de suivre leur chant toute leur vie, et également au cours d’une saison. Les questions principales sont :
- Les chants évoluent-ils au cours de leur vie ?
- les chants évoluent-ils au cours d’une même saison ? Change-t-il en fonction de leur état corporel ?
- Les chants servent-ils à reconnaitre un bon reproducteur parmi tout ce choix de mâles et de femelles ? Les couples sont-ils stables ?
Une grosse partie de mon travail en hiver consiste donc à sortir enregistrer des individus précis, que je connais, et que j’ai préalablement marqué à la teinture pour les reconnaitre (avec l’aide d’une équipe motivée). Je suis équipé d’un enregistreur Marrantz, d’un microphone parabolique, de batteries de rechange, et en avant pour l’espionnage.
 
Douglas à l'écoute - Crédit photo: Virgil Decourteille
Cela suppose beaucoup d’heures en « statique », sans bouger, et par – 25 °C, les quelques heures de soleil suffisent largement pour donner une hypothermie au micro !
Au-delà de l’aspect scientifique et professionnel de l’étude de cette population, il est véritablement jouissif pour nous, hivernants de DDU, de pouvoir aller voir les empereurs quand nous le souhaitons. La manchotière étant classée ZSPA (Zone Spécialement Protégée de l’Antarctique n° 120), on ne peut les approcher à moins de 40 m. Mais il faut comprendre qu’au milieu de l’hiver sur ce continent gelé, voir un autre être vivant est un avantage énorme pour le mental, en plus d’être un spectacle saisissant. Ce spectacle est par ailleurs capturé par deux instruments automatiques de prises de photographies, appelés « microbs », qui documentent les déplacements à petite et grande échelle de la colonie, et des individus au sein de la colonie. 

 
Intervention sur l'installation de prise de vues automatique - Crédit photo: Virgil Decourteille

Pour moi, Virgil, l’ornitho-écologue (programme 109) les questions ne changent pas trop depuis le début du programme. Le but est en grosse partie d’étudier la dynamique de la population au cours du temps. Ce genre de suivi nécessite plusieurs dizaines d’années de données avant de pouvoir en tirer des tendances et des informations précises. La colonie d’empereurs est suivie depuis les années 50, son évolution est donc bien connue depuis bientôt 70 ans ! Pour autant pas question de s’arrêter là puisque, comme tout le monde le sait, nous sommes dans une aire de changement climatique et il est important pour nous de mieux comprendre l’évolution des différentes populations d’oiseaux pour voir comment l’écosystème change. Ces animaux situés dans le haut de la chaine alimentaire sont de très bons indicateurs des modifications du milieu dans lequel ils vivent. Un changement majeur dans l’océan antarctique se répercutera et sera visible sur nos sentinelles de l’environnement que sont les populations d’oiseaux marins que nous suivons ici.


Manchotière dans le blizzard... la tortue - Crédit photo: Virgil Decourteille

Il y a donc chaque année les même comptages permettant d’estimer le nombre d’individus, de couples reproducteurs et d’estimer leur succès reproducteur. En début de saison, cela consiste à se peler toute la journée dehors pour quantifier les arrivées et départs en fonction des zones. Le début a été particulièrement compliqué avec le peu de glace et le regroupement au bord de l’eau libre. Par la suite, avec la formation d’une nouvelle banquise, il a été plus facile d’observer les manchots arriver puisqu’il y avait plusieurs centaines de mètres voire plusieurs kilomètres à faire avant d’arriver sur la colonie. Etant donné que, niveau performances, ils sont loin d'égaler Usain Bolt, j’ai eu le temps de me déplacer et de faire d’autres choses avant qu’ils arrivent. Mes jumelles étaient devenues mes meilleures amies, le prolongement de mes moufles.
 
 
Départ de femelles après la ponte - Passage sur le Réseau d'Antennes Linéaires (RAL) de détection des individus transpondés - Crédit photo: Virgil Decourteille

Une fois les pontes lancées, mon quotidien consiste à compter les œufs abandonnés. Ce dénombrement des abandons permet, avec les comptages de poussins, de calculer le nombre de reproducteurs dans la manchotière. Tout cela couplé avec les photos-comptages nous permettant de connaitre assez précisément le nombre d’individus présents. Ces abandons sont l’occasion d’échantillonner quelques œufs en les mesurant. Pour vous donner une idée c’est en moyenne 12cm de haut, 8cm de large, 440gr pour 1mm d’épaisseur de coquille. Malheureusement, il n’y a pas d’omelette géante prévue pour la cuisine ! Les œufs, comme les plumes ou les manchots sont protégés par le traité de l’antarctique. Seuls, Douglas et moi sommes autorisés à prélever ce qui est prévu dans notre protocole scientifique. Cette période est plutôt calme en charge de travail extérieur et est l’occasion de travailler sur les données récoltées l’été en attendant l’éclosion des premiers poussins (la naissance du premier poussin est intervenue le 5 juillet).

 
Tout jeune poussin - Crédit photo: Virgil Decourteille

Maintenant que les poussins sont nés, je suis de retour quotidiennement sur la manchotière quand les conditions météos le permettent (pas souvent ces jours-ci…). J’observe les tentatives de kidnapping de petits et le retour des pétrels géants (parfois exactement le même jour que la première éclosion observée). Pour l'observation des pétrels géants, il s’agira de comptages et de lectures de bagues dans le cadre du suivi de la population. Pendant ce temps, certains manchots ayant raté leur reproduction tentent de voler les poussins des autres, avec parfois une fin tragique pour le poussin. On nomme cette action, le rapt. Ces manchots sans poussin appelés « inemployés » sont poussés à l’acte à cause de l’hormone liée au soin parental présente en forte concentration chez eux. Mon travail consiste à observer les rapts pour mieux les comprendre. Heureusement, dans beaucoup de cas les parents défendront suffisamment bien leur poussin pour le protéger et je n’aurais pas à être le spectateur de destins tragiques.


Le Pétrel Géant de l'Antarctique (PGA), grand amateur de jeunes manchots "Empereur" - Crédit photo: Virgil Decourteille

 Fiche d’identité du manchot Empereur :
- Aptenodytes foresteri
- Environ 54 colonies en Antarctique
- Le seul habitant du continent en hiver ! Tout un continent pour lui (avec quand même 23 voisins bipèdes ici).
- 600 000 individus au total en Antarctique.
- Colonie de l’archipel de pointe géologie (la notre !) : 3500 couples
- Colonie de l’île Coulman (la plus importante) : 25 000 couples
- Mange du krill antarctique (Euphausia superba), des poissons (Pleuragramma antarcticum), et des calamars.


Douglas et virgil... ou Virglas et Dougil.