La banquise est désormais bien installée autour de Dumont d'Urville. Pour autant, sa mise en place a connu quelques aléas. Rien d'anormal à ça. Les "Anciens" vous diront que les choses peuvent être très différentes d'une année sur l'autre. Gaétan, notre ingénieur météo, reprend sa plume pour nous expliquer le processus amenant à la formation de la glace de mer. Sensible aux contraintes extérieures, ce milieu reste fragile même en hiver et il convient de s'y montrer prudent en toutes circonstances. Ici comme ailleurs, l'accoutumance au risque est l'ennemi...
Formation de la banquise en zone DDU - Vues satellitaires
Les trois images ci-après permettent de se rendre compte de l'extension progressive de la banquise autour de DDU. De manière simplifiée, les parties grises en bas à droite des images représentent des nuages, les parties sombres la mer du large et les polynies (zones d'eau libre) côtières ou localisées et les zones bleu-vert devenant blanc situées dans le Nord du trait de côte, la banquise et le pack.
Embâcle
L’embâcle,
c’est le phénomène de formation de la banquise,
lorsque la surface de l’eau de mer gèle.
Comme chacun
le sait, dans les conditions normales de pression, l’eau douce gèle à 0°C.
En pratique, il est nécessaire
que la température moyenne de l’air s’abaisse durablement en-dessous de -10°C
pour que l’embâcle se généralise.
Pourquoi la
mer gèle-t-elle si difficilement ?
Il y a d'abord
l'action mécanique des courants, du vent et de la houle qui retardent le
processus de congélation de l'eau de mer.
Et puis, il y a les lois de la
physique.
D'abord, le point de congélation
de l'eau de mer n'est pas à 0°C comme
l'eau douce, en raison de la présence de sel : le mélange eau-sel est
eutectique, ce qui signifie que la congélation se fait à température constante,
dépendant de la concentration en sel. Avec une concentration de 35 grammes de
sel par litre d'eau de mer, il se situe à -1.9°C. En augmentant la
concentration en sel, on abaisse encore le point de congélation, jusqu'à un
minimum situé à -21.6°C, qui correspond
à une proportion de 220g de sel par litre. Ceci explique l'épandage de sel sur certaines routes l'hiver. Si l'on augmente encore la concentration de
sel, le point de congélation augmente à nouveau.
Eau libre entre DDU et cap Prudhomme - Crédit photo: Gaétan Heymes |
Ensuite, l'eau de mer liquide est
sombre, elle a un albedo plus faible et capte beaucoup plus d'énergie solaire
que la neige, qui a tendance à la réfléchir ; de plus, la capacité calorifique
massique de l'eau liquide est environ deux fois plus importante que celle de
l'eau solide: pendant un processus de refroidissement, un kilogramme d'eau liquide doit
libérer deux fois plus d'énergie qu'un kg de glace pour perdre un degré.
Enfin, le phénomène de
congélation est exothermique, ce qui signifie que le changement d'état de
l'eau, de liquide à solide, dégage de l'énergie sous forme de chaleur. Cela retarde la congélation.
Malgré les obstacles de la
thermodynamique, l'eau de mer parvient à se refroidir... ce faisant, elle gagne
en densité, et plonge, remplacée par de
l'eau moins dense, donc moins froide, provenant de la subsurface.
Une fois toutes ces barrières
d’énergie franchies, la banquise peut se former de manière homogène.
Cela commence par le frasil, les
premiers cristaux de glace qui se forment dans des conditions calmes. Avec l’action du vent et de la houle, il peut
s’agglomérer sous forme de plaques circulaires opaques, appelées « pancake
ice », bien visibles par contraste avec l’eau de mer non gelée, ou gelée
sous forme de glace transparente à l’aspect sombre : on parle alors de
nilas lorsque l’aspect est « dur », et de « slush »
lorsqu’il est mou, sous forme de mélasse, ou sorbet.
Pancake ice près du Lion - Crédit photo: Gaétan Heymes |
Ce stade ne dure que quelques
jours : soit des conditions froides et calmes se poursuivent et la
banquise s’épaissit de manière homogène ; soit la température se radoucit,
ou bien le vent et/ou la houle brisent cet équilibre fragile, et le processus doit
reprendre à zéro.
Nilas - Crédit photo: Gaétan Heymes |
Extension de la glace de mer - Crédit photo: Gaétan Heymes |
Pour les membres de la TA69, cela
s’est répété à quatre reprises, en raison des conditions particulièrement
douces et ventées, avec une récurrence élevée de tempêtes, qui ont prédominé
de début mars à mi-avril, et à chaque fois détruit la jeune banquise en
formation.
Une débâcle de la banquise
pluriannuelle a même été observée mi-mars, causée par un épisode de houle
particulièrement énergétique.
Début avril, une violente tempête
de vent catabatique, avec des rafales dépassant les 100 nœuds (196 km/h) a
réduit en miettes et en quelques heures la jeune banquise, évacuant les floes,
ces larges plaques de glace, vers le large.
Dislocation de la jeune banquise - Crédit photo: Gaétan Heymes |
Depuis, les conditions sont plus
calmes, et surtout beaucoup plus froides. Le vent n’a plus dépassé les 150 km/h
en rafales à DDU depuis le 10 avril, et la température moyenne des 5 dernières
semaines affiche -15,5°C.
Cela a permis une prise en
épaisseur relativement continue et homogène de la banquise, jusqu’à 70 cm en
moyenne actuellement.
Jeune banquise fin avril - Crédit photo: Gaétan Heymes |
Lorsque la banquise s'épaissit,
elle isole la mer de l’atmosphère où règnent des conditions beaucoup plus
froides. Ainsi, une banquise nouvelle ne peut guère dépasser 1,5 à 2 mètres
d’épaisseur, alors que la banquise pluriannuelle, qui a résisté à plusieurs
saisons de fonte, peut atteindre 3 à 4 mètres, hors zones de compression. Ce sont
des glaçons de cette épaisseur qui ont
été arrachés et déblayés au large par la houle de mi-mars, d’un secteur où il
n’y avait plus eu de débâcle depuis 8 ans.
Cette épaisseur homogène et
relativement importante de banquise n’exclut pas une débâcle ultérieure, même
en plein hiver. Cela s’est déjà observé par le passé, par suite de violentes et
durables tempêtes catabatiques. La banquise est un milieu élastique et fragile,
plus sensible aux contraintes extérieures que sa surface blanche, homogène et
lisse peut le laisser penser.
Pendant la saison hivernale, des
couches de neige viennent s’empiler sur la glace, ce qui joue un rôle dans
l’évolution de sa structure, notamment au printemps austral, quand le
rayonnement solaire redevient suffisamment puissant. En chauffant la neige, il
fragilise la banquise, bien avant la débâcle.
La houle, bien que la plupart du
temps imperceptible, les courants marins et les marées travaillent la glace par
dessous.
Des
paramètres à garder en tête lorsque l’on évolue sur ce milieu si particulier,
que ce soit en manip scientifique, technique ou pour les loisirs.Formation de la banquise en zone DDU - Vues satellitaires
Les trois images ci-après permettent de se rendre compte de l'extension progressive de la banquise autour de DDU. De manière simplifiée, les parties grises en bas à droite des images représentent des nuages, les parties sombres la mer du large et les polynies (zones d'eau libre) côtières ou localisées et les zones bleu-vert devenant blanc situées dans le Nord du trait de côte, la banquise et le pack.
Image satellite défilant MODIS Aqua du 16 février 2019 - Crédit image: Neal Young - Université de Tasmanie à Hobart - Sous couvert de l'IPEV |
Image satellite défilant MODIS Aqua du 22 mars 2019 - Crédit image: Neal Young - Université de Tasmanie à Hobart - Sous couvert de l'IPEV |
Image satellite défilant MODIS Terra du 25 mai 2019 - Crédit image: Neal Young - Université de Tasmanie à Hobart - Sous couvert de l'IPEV |
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