Chaque semaine, nous vous proposons d’aller à la rencontre d’un de nos compatriotes du bout du monde. Vous découvrirez les portraits de ces hommes et de ces femmes qui exercent leur art dans le territoire français le plus éloigné de la métropole, en Terre Adélie, sur le grand et mystérieux continent blanc.
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Cette semaine, nous vous présentons Ismaël CHARLET, 30 ans, originaire de Cherbourg, qui occupe la fonction de Lidariste pour la Base Dumont-d'Urville.Notre Normand a commencé ses études à Cherbourg par une prépa Math Sup Math Spé, avant d'intégrer une école d'ingénieur (Phelma) à Grenoble où il développera une spécialisation en Nanophysique. Fort de ses nouvelles qualifications, notre jeune et brillant ingénieur ne s'en contentera pas puis qu'il décidera alors de poursuivre un doctorat en opto-électronique au sein de l'université Paris-Saclay. Ismaël va alors intégrer le CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives) à Grenoble en tant qu'ingénieur en radiofréquence. Il travaillera notamment sur la caractérisation électronique de composants nanotechnologiques. Il exercera son art durant 3 années avant de rejoindre l'aventure Antarctique. Il avait découvert la mission de Lidariste à Dumont-d'Urville dès 2016, encore jeune élève de l'école d'ingénieur,alors qu'un enseignant avait partagé l'annonce de l'institut polaire. Il tente le coup à l'issue de son diplôme d'ingénieur, malheureusement il n'est pas retenu cette année là. Depuis, il garde en tête cette mission et son envie de découvrir ce territoire et cette aventure particulière. Finalement, le CEA accepte de lui accorder un congé pour lui permettre de réaliser son rêve. Il n'hésite donc pas une seconde et se lance dans l'aventure, rejoignant alors la 75ème expédition française en Terre Adélie.
Sur la base, "Isma" comme tout le monde le surnomme, travaille pour le programme 209 (LIDAR). L'objectif est l'étude des composants présents dans la stratosphère. Historiquement, ce programme a été lancé suite à l'observation du trou dans la couche d'ozone, causée par les polluants présents dans la stratosphère. Les tirs au LIDAR consistent en fait à utiliser un laser pour exciter les molécules présentes dans la stratosphère puis d'analyser le signal reçu en retour. A partir de ce signal, on peut déduire les propriétés de ces particules. Le positionnement de cette station LIDAR dans nos contrées froides et lointaines n'est pas laissé au hasard. En effet, c'est aux pôles que se déroulent les réactions chimiques qui détruisent la couche d'ozone. Ce sont les nuages stratosphériques polaires qui sont le siège de ces réactions chimiques destructrices pour notre couche d'ozone, or ces nuages bien particuliers se forment uniquement dans des conditions climatiques suffisamment froides, que l'on retrouve aux 2 pôles.
Autre spécificité, notre lidariste travaille de nuit. En effet, le jour, la lumière ambiante, trop forte, sature les capteurs.Au delà du suivi des réactions qui peuvent impacter la couche d'ozone, le lidariste réalise également une veille sur les incidences des grands feux de forêts et de l'activité volcanique, dont il observe également les traces.
Chaque opportunité de tir est saisie ! Sa plus longue session de tir a durée 14h au cœur de l'hiver !
Immersion dans une journée ou plutôt une nuit avec notre lidariste
En général, Ismaël se lève aux alentours de 13h30 les jours de beau temps. Il déjeune au bar, en décalé de ses co-hivernants. C'est le moment où une grande partie des hivernants est en train de terminer sa partie de coinche, sur les tables voisines.
Dès la fin de son repas, Isma, "le plus intelligent d'entre-nous", se rend à la météo afin de savoir s'il pourra tirer et dans quelles périodes.
Ensuite, il descend la passerelle jusqu'au LIDAR voisin et allume le LIDAR, même s'il reste un peu de luminosité ambiante. Cela permet au laser de chauffer progressivement, pendant le crépuscule polaire.
Une fois son laser lancé, Isma a un rituel, il rejoint ses deux comparses, Hugo et Renaud, à la bibliothèque du séjour où ils contemplent un film de Luc Besson. Il jongle alors entre la télévision et son téléphone, toujours dégainé, depuis lequel il surveille attentivement l'acquisition lidar à distance grâce à un report d'écran.
| La nébuleuse de la Carène, immortalisée par Ismaël CHARLET lors d'une longue nuit polaire. |
Une fois le générique de fin passé, "notre scientifique le plus qualifié de la base" retourne au LIDAR et installe sur les passerelles toutes proches, son matériel d'astrophotographie. Il a alors un oeil sur ses deux bébés, le LIDAR et son appareil photo. -
Il se rend ensuite à Géophy, vers 17h, pour faire les premiers traitements de données et vérifier les réglages du LIDAR.
Isma rejoint ensuite ses co-hivernants pour le dîner, puis traîne en général avec les hivernants, partageant des jeux ou bien une série. Il suit également avec assiduité les aventures de Koh-Lanta. Fervent supporter de Naïs, la marseillaise !Puis progressivement, ses co-hivernants l'abandonnent entre 23h et minuit. Pour lui, ce n'est pourtant que le début de la journée de travail.
Il va profiter d'un café ou d'un thé au séjour, puis, souvent prit d'une fringale nocturne, il se prépare des tartines ou des pâtes pour tenir pendant la longue nuit polaire.
Puis il passe le restant de la nuit en divaguant dehors, profitant d'un ciel pur. Parfois il déclenche l'alerte aurores australes pour réveiller ses co-hivernants et leur permettre de profiter du spectacle.
Vers 2h-3h du matin, il tombe de fatigue et de froid, il profite d'une bonne douche chaude réconfortante pour se réveiller puis regarde un film. Enfin, la nuit se termine, cet oiseau nocturne, partage un petit déjeuner avec les quelques hivernants debouts puis rejoint sa chambre pour tomber dans les bras de Morphée.
Parfois, la météo n'est pas clémente, et c'est alors l'occasion pour notre lidariste de saisir l'opportunité pour se recaler sur un rythme diurne et ainsi, réaliser les nécessaires maintenances sur son appareil.
Mais ce travail de Lidariste n'est qu'une fonction complémentaire. En effet, la fonction principale d'Ismaël sur base est Rédacteur en chef du "Pétrel enchaîné", la gazette mensuelle de Terre Adélie. Chaque mois (ou presque...), les hivernants découvrent avec autant de plaisir que de terreur la nouvelle édition, ne sachant pas à quelle sauce ils vont être mangés. Un article à scandale par ci, une enquête sur un mystère de la base par là, une étude statistique sur le comportement des Adéliens au milieu, chacun en prend pour son grade. Bref, Isma a relancé cette célèbre gazette du bout du monde, entouré de sa petite et fidèle équipe de rédaction.
Si vous cherchez Isma, prévoyez déjà une excursion nocturne. Vous pourrez le trouver équipé de sa combinaison rouge intégrale quelque part sur une passerelle, potentiellement un appareil photo et son trépied à la main.A défaut, vous avez toutes les chances de le trouver dans la bibliothèque du séjour avec ses comparses, devant un film, et s'il n'est pas de nuit au LIDAR, il y a 99% de chances pour qu'il arbore une de ses salopettes fétiche, attachée au dessus de son pull en laine, sa signature vestimentaire.
Enfin, si c'est la journée, vous pouvez tenter votre chance à l'atelier météo. C'est là que vit son complice, Pierral, notre technicien météo. Vous le trouverez en train de l'affronter dans une partie de Backgammon, entouré de girouettes en réparations. Ces deux complices discrets se comprennent bien même dans le silence.Sous ses airs réservé et discret, il vous surprendra par son humour corrosif.
Ce qu'aime Isma ici, c'est d'une part sa fonction scientifique, "on a l'impression de contribuer à quelque chose d'important même si l'on est qu'un petit rouage d'une grande machine".
Il apprécie également l'hivernage qui lui permet d'interagir avec des profils très différents, qu'il n'aurait pas eu l'opportunité de rencontrer en métropole.
Bien sur, il est également sous le charme de notre lointaine contrée et de ses habitants, en particulier les manchots.
Il profite de la banquise pour réaliser de belles ballades et parfois pour patiner dans ce paysage féérique.
Enfin, il fait partie de la secte de la coinche, se réunissant au minimum chaque début d'après-midi.
Une citation favorite ?
"Bah c'est super" comme dirait Hugo, notre élec
"Même dans un milieu si isolé, la nature a horreur du vide" comme dirait Jef, notre chef central
Une anecdote à nous raconter ?
"Avec Andréas, on a rencontré un empereur très curieux vers le Mât Iono. Il se collait à nous et ne voulait plus nous quitter. Comme il nous suivait partout, il a fallu le raccompagner jusqu'à la banquise. Quelques jours plus tard, en allant vers le Nunatak, il est de nouveau venu à ma rencontre. Aucun doute c'était lui, il a des taches particulières en haut de ses ailerons. Je l'ai baptisé Panoramix, car on pourrait penser qu'il s'est pris un menhir sur la tête et que depuis tout ne tourne pas rond là-haut. J'espère le revoir avant mon départ."Un mot pour terminer ?
"C'est super ! Un truc de Ouf ! On est toujours surpris, même quand on sait que l'on va être surpris."