18 décembre 2025

Portrait d'Adélien - Léo, tailleur de pièces sur le continent de glace

Nous vous proposons d’aller à la rencontre d’un de nos compatriotes du bout du monde. Vous découvrirez les portraits de ces hommes et de ces femmes qui exercent leur art dans le territoire français le plus éloigné de la métropole, en Terre Adélie, sur le grand et mystérieux continent blanc.
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Aujourd'hui, nous vous présentons Léo, 23 ans, originaire de Savoie, qui occupe la fonction de mécanicien de précision pour la Base Dumont-d'Urville. 

Notre mécanicien de précision a débuté ses études avec un Bac SSI qu'il a ensuite complété par un DUT en génie mécanique et productique réalisé à Annecy, où il réalise un stage de 3 mois chez Volvo en qualité de technicien méthode. Après ces 2 ans de DUT, il complète sa formation avec un DUETI (diplôme universitaire d'enseignement technologique international), ayant pour objectif de compléter le DUT précédent en lui donnant une dimension internationale et linguistique. 

Notre jeune Léo se rendra alors en Irlande, à Letterkenny, pour cette année d'immersion dans la culture Irlandaise. Puis il est temps de rentrer en France, il retourne chez Volvo, mais cette fois, ce n'est plus un stage, il est recruté en qualité de technicien méthode. Il y restera 1 an avant de rejoindre NTN. Finalement, c'est par une amie canadienne qu'il va découvrir l'Antarctique. Cette dernière rêvait de cette aventure. Il postule alors au sein de l'institut polaire français. Sans nouvelles et alors que le départ du premier bateau est prévu dans 3 semaines, il est contacté par l'institut, lui demandant s'il est prêt à partir dans ce délai très court. Il confirme son engagement et se prépare rapidement afin de rejoindre l'équipe. 


Sur base, Léo a pour rôle de fabriquer des pièces métalliques ou plastiques, pour répondre aux besoins des différents professionnels de la base. Ses productions sont principalement destinées au remplacement de pièces endommagées mais aussi à la production de nouveaux types de pièces au besoin. En effet, vous l'aurez compris, on ne peut commander de pièces en ligne et attendre la livraison par le facteur le lendemain... Ici, il nous faut être autonome et savoir produire les pièces essentielles pour la continuité de nos installations et c'est pourquoi Léo est présent. Il réalise le tourrage, le fraisage mais aussi des impressions 3D. Bref Léo c'est un peu notre usine de production du bout du monde. 


Léo fait aussi partie de l'équipe pompiers lourds de la base, il intervient en cas d'incendie pour porter secours aux personnels et tenter de stopper les débuts d'incendie. Un rôle essentiel sur une base isolée du monde. 


Si vous cherchez Léo notre Mé-pré (pour mécanicien de précision), aussi appelé "Mé-presque", comme le veut la tradition, vous pouvez le trouver au "Sipo" (Le Siporex, du nom du matériau de construction de l'atelier général), c'est son antre, son atelier. A défaut, regardez s'il n'est pas en train de jouer à un jeu de société ou de carte au séjour. 

Enfin, dernière option, vous le trouverez peut être au séjour, sur le canapé en pleine réflexion existentielle. Vous pouvez le reconnaitre aisément, même sous une couche de vêtements, une cagoule et un masque de ski, en pleine tempête, si vous le croisez il vous lancera un petit "Coucou".


Ici, notre jeune Mé-pré aime le fait de vivre avec des personnes qu'il n'a pas l'habitude de côtoyer, comme les scientifiques par exemple. "Ça me fait voir plein de champs différents".

"J'aime aussi les manips que l'on réalise, les paysages, les animaux, c'est unique..."   

"On a aussi beaucoup moins de problèmes du quotidien, on sort de tout ça, on est dans notre bulle"



Une anecdote à nous raconter ? 

Léo n'avait pas d'anecdote à partager, je m'en charge donc : 
Léo a participé en tant qu'acteur au célèbre festival du film Antarctique (WIFFA), qui met en compétition toutes les bases de l'Antarctique au coeur de l'Hiver. Il a joué le rôle de représentant des États-Unis d'Amérique lors d'un débat animé entre lui, le représentant de la France et celui de l'URSS qui se partagent alors l'Antarctique comme un morceau de gâteau, délaissant les autres nations. Costume, cravate, lunettes de soleil et cigare à la bouche, il a su incarner le personnage et une de ses tirades est restée culte pour l'équipe de tournage ! 
"More for America !"
  

Un mot pour terminer ?    

"C'est une super expérience, très enrichissante pour moi"


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Chers lecteurs, je vous avais promis de terminer les portraits hivernants, alors depuis les terres chaudes et non moins hostiles d'Australie, je tiens mon engagement. Merci à mon successeur Nicolas PUVIS, actuel DISTA, de me permettre ces dernières publications.

Pierre BASCELLI (DISTA TA 75)

16 décembre 2025

Portrait d'Adélien - Cindy SOUAN, chef d'orchestre du catabatique

Nous vous proposons d’aller à la rencontre d’un de nos compatriotes du bout du monde. Vous découvrirez les portraits de ces hommes et de ces femmes qui exercent leur art dans le territoire français le plus éloigné de la métropole, en Terre Adélie, sur le grand et mystérieux continent blanc.

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Cette semaine, nous vous présentons Cindy SOUAN, 32 ans, originaire de Charente, qui occupe la fonction de cheffe météo pour la Base Dumont-d'Urville. 

Notre cheffe de la station Météo France du bout du monde a intégré une prépa scientifique juste après son bac S. Alors qu'elle ne sait pas encore exactement dans quelle filière scientifique elle va s'orienter, c'est un échange insolite qui va la convaincre de se spécialiser en météorologie. En effet, c'est un ami de belote de ses grands parents (on reviendra plus tard sur la belote), lui même prévisionniste météo qui va définitivement la persuader de continuer son ascension vers les nuages et autres alto-cumulus... 
Finalement, elle intègre donc l'école de la météo en tant que fonctionnaire au sein de météo France. Elle va retrouver ses premiers amours, notamment la mécanique des fluides, cette fois dans le contexte météorologique. Depuis toujours, notre jeune météorologue voulait travailler dans l'environnement mais pas dans une fonction très déconnecté de la réalité, elle veut de l'opérationnel, de la gestion de crise. 


En somme, elle trouve avec sa nouvelle filière un lien qui lui va bien entre théorie, pratique et utilité collective. Finalement, en tant que prévisionniste, elle contribue à son niveau à sauver des vie, en jouant un rôle dans la chaîne de décision. A l'issue de ses 3 ans à l'école d'ingénieurs de la météo, spécialisée prévisionniste, elle prend son premier poste à Bordeaux, en tant que chef prévisionniste. Elle est alors responsable des couleurs de vigilance des 20 départements rattachés à son bureau. Elle veille et anticipe notamment la survenue des crues, des inondations, des feux de forêts, et de tous les autres phénomènes météorologiques dangereux. Elle fait donc ses premières armes à ce poste, connaissant ses premières crises, travaillant en étroite collaboration avec la préfecture, les pompiers et autres acteurs de l'urgence. "Je me suis vraiment sentie utile. On est le 1er maillon de la chaîne, et on permet aux décisionnaires de prendre les dispositions en connaissance de cause."


Après ces 3 ans à Bordeaux, Cindy évolue en tant que chef prévisionniste marine au centre national de Toulouse. Elle y exerce alors 2 missions principales : 

-La veille sur les hommes et objets à la mer en dérivation (permet d'anticiper/prévoir la dérivation de ces biens ou personnes et ainsi guider l'action des services de sauvetage)  

-La vigilance vague submersion pour l'ensemble de la métropole

Puis finalement, forte de son expérience en prévision, acquise durant ces années, elle décide de concrétiser son aventure en Terre Adélie. Elle en entendait parler depuis l'école. Notre jeune cheffe météo a toujours été attirée par les pôles, les pays froids, ces endroits préservés de la présence humaine où les animaux ne craignent pas l'Homme. Son ardeur est renforcée par la lecture de nombreux livres retraçant les glorieuses expéditions des pionniers comme l'odyssée de l'Endurance de Shackleton. 

En parallèle de son travail, Cindy est aussi engagée dans la vie associative pour une cause qui lui tient particulièrement à coeur, les animaux. Bénévole à la SPA, elle travaille comme enquêtrice, elle évalue des situations particulières suite à des plaintes afin de déterminer si des animaux sont maltraités ou en danger. 


Revenons en Antarctique. Sur base, Cindy a un objectif : faire de bonnes prévisions pour tous les personnels sur base, en s'adaptant au public et aux risques auxquels ils sont exposés et en exprimant avec honnêteté les incertitudes inhérentes à certaines prévisions. Cindy et son équipe sont là aussi pour sensibiliser les personnels aux risques liés à la météo, risques majeurs dans un environnement isolé et hostile comme le nôtre. 

Mais au delà de son travail quotidien de préparation des prévisions, c'est aussi un rôle de vulgarisation de la météo pour l'ensemble des hivernants et campagnards, c'est aussi l'occasion d'initier certains à la météorologie et de les faire participer à des manipulations comme les lancers quotidien de ballon météo. 

Immersion dans une journée type 

6h45 : Cindy arrive au bureau, il n'y a pas grand monde debout... Elle observe le ciel, fait son observation de visibilité et de hauteur des nuages. 

7h : première observation envoyée à Toulouse, elle sera assimilée dans les modèles météo. 

Elle réalise alors le météogramme pour les 2 prochains jours. 

7h45: Elle prend son petit déjeuner au bar en compagnie des quelques lèves tôt. Pierral (le technicien météo) est toujours là avec ses mots-croisés. 

8h10 : Elle participe aux étirement animés par Hugo. 

8h50 : Elle lance le ballon avec Pierral

8h50-09h15 : Elle relance le ballon car le premier lancé est un échec, 1 fois sur 2 seulement ;)

09h30 : bulletin météo radio 


Après son bulletin météo radio quotidien, n'oubliez pas de lui lâcher un "Merci Cindy" ! 

Le reste de la matinée est consacré notamment à l'alimentation de la base climatologique, le traitement des données du ballon, l'analyse des images banquises, ... 

12h15 Déjeuner, s'en suit systématiquement l'observation de 13h. 

Puis ses collègues de jeux l'attende pour une partie de coinche ou de belote (la boucle est bouclée). 

L'après midi est consacré au traitement des mails, QGIS, les rapports, l'administratif aussi, il faut bien ... 

Et puis l'après midi c'est aussi un drôle de défilé qui se produit à la météo. Tous ses "clients" viennent la consulter. 

Le glacio pour anticiper les chutes de neiges et les dates pour ses manips en H. 

L'onitho pour connaitre le vent pour ses sorties. 

Le lidariste pour les nuages afin de savoir s'il pourra tirer. 

Hugo vient prendre un café et papoter, Nathan passe aussi pour papoter, Nico vient trainer aussi sans vrai objectif, et d'autres encore... bref le bureau météo, c'est un peu le bureau du psy, "la cour des miracles", on y vient pour raconter sa vie et donner sa météo intérieure. 

Après le goûter de 16h, le DISTA vient me parler des opérations du lendemain. Puis le modèle du soir arrive. 

18H30, c'est le brief sécurité et opérations pour prévoir la journée du lendemain. Le DISTA, le radio, le chef tech et la médecin se retrouvent pour discuter et planifier la journée du lendemain en toute sécurité. 

A 19h, c'est la dernière observation de la journée ! 

Le soir, Cindy participe aux soirées de la base, refait le monde en compagnie de Nathan et Amandine sur les derniers rebondissement de Koh Lanta ou autre série. Parfois, elle s'évade en jouant du piano ou de la guitare (outre les grands classiques, elle nous partage des musiques de Sofiane PAMART qu'elle affectionne), en faisant de la peinture ou des arts créatifs (broderie, poterie,...). 



Enfin, elle ne refuse jamais une bonne balade sur la banquise. Elle a même un petit rituel quasi quotidien, une petite excursion vers la croix prud'homme, c'est son bol d'air à elle. 

Si vous la cherchez, ce n'est pas très compliqué, elle porte presque toujours son bandana manchot pour couvrir ses oreilles. Elle est emmitouflée dans une VTN ancien modèle à la teinte violette. Si vous avez bien suivi, vous la trouverez donc soit à la météo, soit à la croix prud'homme, soit en train de jouer du piano ! Vous pourrez la repérer avec son petit rire au loin. 

"J'ai beaucoup aimé durant cette année, la diversité des gens à côté de moi, j'en ai profité pour apprendre plein de choses, le crampon sur glace avec Adèle, la peinture et la menuiserie avec Nathan, la meneuse et le tour avec Léo..."

Cindy aime aussi les paysages extraordinaires, parler aux manchots sans qu'ils aient peur, les tempêtes,...


Cindy est aussi attachée à ce qu'elle appelle "les chioques". En manque de chiens, elle s'est tournée vers les phoques de Weddell, "C'est un peu mes chiens de l'Antarctique"

Elle aime aussi le détachement complet par rapport aux histoires du monde, "on est dans une bulle, c'est très rare dans une vie"

Quelques minutes avant l'anecdote qui suit ... Photo : Pierre BASCELLI

Une anecdote à nous raconter ? 

"C'était en fin du mois d'Avril, la banquise commençait à se reformer. Afin de rouvrir progressivement la banquise, nous sommes partis Renaud et moi avec Pierre, le DISTA, pour une opération de sondage de la banquise, une des premières où l'on s'éloignait un peu des alentours de la base. Alors que nous marchions sur la banquise aux alentours de l'île Curie, on a vu qu'un léopard des mers nous suivait progressivement en sortant la tête par les trous d'eau autour de l'île. Soudainement, on a entendu et senti des chocs sous nos pieds. Le léopard des mers tapait sous la banquise pour essayer de la casser et d'attraper les proies que nous étions alors. La glace faisait seulement 25cm sous nos pieds... Je dois avouer que j'ai eu peur, j'ai eu un petit frisson ... On a pas tous les jours l'occasion de ressentir ça, d'être chassé par un animal sauvage...


Une citation à nous partager ? 

"Je ne me fierai jamais à une personne qui n'aime pas les chiens, mais je me fierai toujours à un chien qui n'aime pas une personne" Paraphrase de la citation de Bill MURAY par Cindy. 

"On ne voit bien qu'avec le coeur, l'essentiel est invisible pour les yeux" Antoine de Saint-Exupéry


Un mot pour terminer ? 

Ce sera une citation de plus : 

"Vivre, c'est faire de son rêve un souvenir" Sylvain TESSON


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Chers lecteurs, je vous avais promis de terminer les portraits hivernants, alors depuis les terres chaudes et non moins hostiles d'Australie, je tiens mon engagement. Merci à mon successeur Nicolas PUVIS, actuel DISTA, de me permettre ces dernières publications.

Pierre BASCELLI (DISTA TA 75)

12 décembre 2025

Hivernants et campagnards d'été

Les Terres australes et antarctiques françaises ont leur vocabulaire spécifique, leurs acronymes, leurs références. La Terre Adélie ne fait donc pas exception. Cela s’explique en partie parce que ces locutions recouvrent bien souvent des réalités qu’on ne retrouve nulle part ailleurs sur les autres territoires de la République.

Cette semaine, nous allons nous arrêter un peu sur les termes campagnards d’été et hivernants. Chacun aura déjà deviné qu’ils sont saisonnalisés. En effet, on ne rencontre de campagnards d’été en Terre Adélie que pendant l’été austral, tandis que les hivernants sont ceux qui restent sur place un an, pour y passer tout l’hiver.

Pour comprendre le concept, il faut d’abord saisir la prépondérance du changement de saison. Durant l’été en antarctique (novembre à février), les longues journées et la météo plus clémente sont propices à bien des travaux scientifiques et logistiques. Mais c’est aussi la meilleure (et la seule) saison qui rend notre contrée accessible. Aussi, la station Dumont-d’Urville (DDU) bat son plein durant cette saison-là, c’est ce qu’on appelle la campagne d’été. Et comme elle est ouverte toute l’année, une plus petite équipe (les hivernants) la fait tourner tout en poursuivant quelques programmes scientifiques.

Revenons rapidement sur les défis d’accessibilité de la station, qui font que les personnels n’entrent et sortent que pendant l’été austral, de novembre à février, et par bateau ou par avion uniquement.

La banquise enserre complètement l’archipel de Pointe-Géologie où DDU se situe, entre mars-avril et novembre-décembre. Au-delà de la banquise ferme et solide, la zone de pack (constituée de morceaux de banquise débâclée et à la dérive) peut s’étendre à plusieurs centaines de kilomètres. Cette zone peut être difficile à franchir, même pour un brise-glace. Rappelons qu’un brise-glace comme L’Astrolabe peut briser la banquise jusqu’à une épaisseur de 1,20 m ; en comparaison, la banquise près de DDU peut dépasser les 2m d’épaisseur. Durant l’hiver, le bateau ne peut s’approcher et les hélicoptères n’y suffiraient pas pour débarquer et décharger, puisqu’on restreint à 100 km environ leur rayon d’action. L’accès par la mer se fait donc uniquement de novembre à février, avec 4 à 5 rotations de L’Astrolabe depuis Hobart en Tasmanie (Australie) durant cette saison.


L’Astrolabe, au loin en bord banquise lors de sa première rotation de la campagne 2025-2026. 
Photo : Nelly Gravier (TAAF)

Par ailleurs, les moyens aériens sont limités. Il y a bien une piste d’atterrissage, au point nommé D10, situé un peu plus haut sur la calotte polaire du continent, à une dizaine de kilomètres de la station. Mais elle n’autorise l’atterrissage que de petits avions, des Basler (des DC-3 modifiés) à train d’atterrissage à ski. Ces avions font régulièrement la navette entre DDU, la station franco-italienne Concordia située à 1 100 km à l’intérieur du continent et la station italienne Mario-Zuchelli. Ils desservent aussi occasionnellement les stations américaine McMurdo et australienne Casey, ainsi qu’une piste située à D85 sur la route du raid logistique qui relie DDU à Concordia.

  
Arrivée du premier avion de la campagne d’été 2025-2026. 
Photo : Nathan Clausse (Menuisier – TA75)

Ces avions ne relient pas l’Antarctique au reste du monde. Pour cela, le fret et les personnels empruntent des vols intercontinentaux, réalisés par des gros porteurs généralement depuis Christchurch en Nouvelle-Zélande (pour Mario-Zuchelli et McMurdo) ou depuis Hobart en Australie (pour Casey). Ces gros porteurs, type A-320 ou C-130, ne peuvent pas se poser à D10, près de DDU, du fait de la topographie des lieux.

Pour des raisons liées à la météo, tous ces avions, petits ou gros, ne volent que de fin octobre à février.

Faute de bateau et d’avion, la Terre Adélie est donc coupée du monde entre fin février et fin octobre. Fin octobre, commencent les rotations qui vont amener les campagnards d’été, qui resteront le temps de la saison et repartiront en février, et les hivernants de l’hiver suivant venus relever ceux de l’hiver écoulé. En tout, les hivernants sont 23. Pendant l’été, avec les campagnards, ce nombre est multiplié par 4 et avoisine la centaine entre DDU et la station de cap Prudhomme qui prépare et réalise le raid logistique.

Comment se répartissent les rôles durant la campagne quand campagnards d’été et futurs hivernants se côtoient ? Une fois la passation faite avec les hivernants sortants, les hivernants entrants se chargent du fonctionnement quotidien de la station : les programmes scientifiques au long cours, l’hôpital, la cuisine, la météo, les télécoms, les réseaux d’eau, l’électricité, les mécanos, la menuiserie, etc. Les campagnards d’été sont surtout là pour suivre les programmes scientifiques qui peuvent ne requérir qu’une présence occasionnelle, pour organiser la logistique liée au débarquement du fret de L’Astrolabe et des avions de passage, pour préparer et réaliser le ravitaillement de Concordia via le raid logistique, se charger des gros travaux qui ne peuvent être réalisés qu’en été (pour des raisons météo et du grand nombre de personnes sur base). C’est l’occasion de mentionner qu’une bonne partie des campagnards d’été sont des permanents de l’Institut Polaire Français, qui reviennent de campagne en campagne, et le reste de l’année depuis Brest continuent de travailler sur les projets de la station et les préparations des campagnes à venir.

Tout ce petit monde est nourri et logé. Deux dortoirs hébergent le personnel, l’un n’étant ouvert que pendant l’été quand les besoins de couchage sont les plus importants. Les chambres sont doubles l’été. Durant l’hiver, il y en a suffisamment pour que chacun ait la sienne. La station Robert-Guillard à cap Prudhomme, ouverte uniquement l’été pour le raid, peut accueillir jusqu’à 18 personnes.

 
En haut, le dortoir hiver (capacité max. 64 personnes) ; en bas, le dortoir été (capacité max. 36 personnes) ; 
à droite, une chambre. Photo : Nicolas Puvis (DISTA)

Au quotidien, chacun a son rôle, mais les hivernants profitent de la connaissance des stations des campagnards, qui reviennent souvent d’une campagne à l’autre, et aident souvent aux travaux d’ampleur en été. Cela leur permet d’approfondir leur prise en main de la station pour l’hiver où ils seront seuls. Enfin, les moments de convivialité tous ensemble ne manquent pas. Les repas sont pris en commun et des soirées sont régulièrement organisées (les jeudis de la science, soirées jeux, soirées à thème, soirées cinéma etc.).

01 décembre 2025

Encore une semaine bien chargée en Terre Adélie !

Arrivée de L’Astrolabe

Après l’arrivée des premiers campagnards d’été par deux vols les 29 octobre puis 3 novembre, c’est au tour de notre célèbre patrouilleur polaire, L’Astrolabe, de débarquer le 23 novembre une quarantaine de personnes à Dumont-d’Urville (DDU), futurs hivernants et campagnards d’été. Une douzaine de jours de navigation auront été nécessaires au bateau des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF), armé par la Marine nationale pour le compte de l’Institut Polaire Français (IPEV), pour affronter l’océan austral puis se frayer un chemin à travers le pack de glaces encore compact en saison. La banquise enserrant toujours notre archipel de la pointe Géologie, L’Astrolabe s’est arrimé sur celle-ci à environ 8 km de la station et les nouveaux venus ont été transférés sur la banquise par un chasse-neige tractant une cabine.

Crédit : Nicolas Puvis (DISTA)

Une fois cette opération réalisée, le temps est venu pour les deux hélicoptères sortis des cales de L’Astrolabe de transférer le fret embarqué à Hobart, en Australie. En deux jours et pas moins de 25 allers-retours chacun, cet impressionnant ballet aérien a réussi à vider une bonne partie des 170 tonnes à bord de L’Astrolabe, laissant 4 allers-retours sur la banquise à des engins lourds pour les containers les plus volumineux.

Dispatch du fret fraîchement arrivé

Là n’est que le début d’un travail de fourmis titanesque pour dispatcher tout ce matériel entre la piste du Lion où il a été déchargé et les différents lieux de destination, que ce soit sur la station Dumont-d’Urville, sur la station Robert-Guillard à cap Prudhomme (pour elle-même ou pour la station franco-italienne Concordia) ou pour le Raid Science. La tempête Coco approchant, le défi s’annonce ambitieux mais il a été réalisé avec brio. Les conditions météo n’ont en revanche pas permis de transférer les 200 m3 de carburant dans les conditions de sécurité propres à cette opération particulièrement délicate, qui nécessite l’usage de bâches souples tirées par des engins sur la banquise. L’Astrolabe repartira donc avec et nous le livrera à la prochaine rotation.

Les nouveaux commencent à s’approprier les mécanismes de la base, en particulier les services base et la manip’ vivres, qui consiste à transporter une fois par semaine les vivres depuis leurs lieux de stockage (sec, frigo +4°C et chambre froide -20°C) vers la cuisine.

Crédit : Nelly Gravier (TAAF)

Et bien évidemment, pendant ce temps, les programmes de recherche scientifique battent leur plein. C’est le début de la campagne d’été. Il n’y a pas une minute à perdre pour les ornithologues, pour celles et ceux qui font des relevés, installent ou réparent des instruments de mesure, observent tel ou tel phénomène glaciaire ou atmosphérique.

Crédit : Nicolas Puvis (DISTA)

Passage d'un avion

Le jour de l’arrivée de L’Astrolabe, un avion s’est également posé sur notre piste d’atterrissage, à quelques encablures sur la calotte polaire continentale. Le petit Basler nous dépose les six hivernants IPEV de la station Concordia, sur Dôme C, à 1 100 km à l’intérieur du continent. Ils viennent d’y passer l’année avec six autres hivernants du programme national italien de recherche en Antarctique (PNRA) et une médecin de l’Agence spatiale européenne (ESA). Ce court passage leur aura permis de voir une autre facette du continent blanc et aura été l’occasion de nous présenter leur hivernage lors d’une soirée dédiée. Ils prendront le chemin du retour avec L’Astrolabe.

En redécollant une heure après, le Basler emmène avec lui deux collègues de l’IPEV qui vont à leur tour passer quelques semaines à Concordia.

Raid Science

Le 23 novembre, le Raid Science s’est élancé de la station de cap Prudhomme pour se positionner à D17, un point situé à une dizaine de kilomètres, un peu plus haut sur la calotte polaire. L’équipe initiale de trois personnes sera rejointe le lendemain par quatre autres, débarquées de L’Astrolabe, ainsi que du matériel également acheminé depuis Hobart.

Ce Raid s’étirera sur une soixantaine de jours, d’abord pour le compte du programme Awaca et plus spécifiquement pour relever les instruments de mesure et effectuer des réparations sur les unités disposées à D17, D47 et D85, des points situés respectivement à 10, 100 et 500 kilomètres de DDU. Au retour, ils déploieront un autre programme scientifique.

Crédit : Nicolas Puvis (DISTA)

Au départ de cette petite caravane, l’ambiance est bonne au sein de l’équipe, malgré les nombreux défis techniques et climatiques qu’ils devront affronter. Mais leur adage « s’inquiéter, c’est souffrir deux fois » est de rigueur dans l’équipe.

Raid Logistique

Le 29 novembre, c’est au tour du Raid Logistique de s’élancer. C’est l’opération de la semaine ! Par deux fois dans la saison, il reliera Prudhomme à Concordia, assurant ainsi le ravitaillement vital de cette station en matériel et en carburant. Trois convois tirés par deux véhicules de traction chacun (un seul convoi et un tracteur représentés sur la photo ci-dessous) seront escortés de deux dameuses.

Crédit : Nicolas Puvis (DISTA)

A une moyenne de 10 km/h, plus de dix jours seront nécessaires pour rallier Concordia. L’équipe franco-italienne (IPEV-PNRA) de dix personnes et leurs engins devront affronter le froid, le vent, la neige, mais aussi un paysage de désert blanc sans fin. Chaque soir, ils s’arrêteront en route, se restaureront et se reposeront dans deux cabines de vie spécialement équipée. Une véritable prouesse technique et humaine.

A Prudhomme comme à DDU, on sent le soulagement des équipes une fois le raid parti. Le boulot aura été fait et bien fait, pour permettre ce premier départ si crucial.

Passations

La semaine aura aussi été l’occasion des passations de fonction entre hivernants de la mission TA75 et ceux de la TA76 fraîchement débarqués. En effet, lors de cette première rotation de L’Astrolabe de l’été austral, les deux tiers des hivernants sont traditionnellement relevés (le dernier tiers l’étant à la rotation suivante). On a ici des glaciologues, des lidaristes qui étudient la stratosphère, des ornithologues, des météorologues, des informaticiens, des médecins, des cuisiniers, des menuisiers, des électriciens, des plombiers, des conducteurs d’engins, des responsables de la centrale électrique, des responsables des télécommunications, etc. qui vont se relayer. En à peine cinq jours, il s’agit de transmettre le maximum aux suivants, pour faire fonctionner la station au quotidien pendant un an, mais aussi pour assurer une certaine continuité dans la mémoire institutionnelle. Les émotions liées à ces missions qui s’achèvent ou qui débutent s’invitent inévitablement dans ce processus et ne doivent évidemment pas être négligées. C’est avant tout une aventure personnelle et individuelle que nous sommes amenés à vivre sur ce territoire du bout du monde. On comprend aisément comme la clôture de ce chapitre d’une vie peut se révéler chargée émotionnellement.

C’est également lors de cette semaine que la passation de fonction entre les chefs de district sortant et entrant a eu lieu. C’est traditionnellement l’occasion d’une cérémonie officielle, généralement présidée par la Préfète, administratrice supérieure des TAAF. Cette année la retenant en métropole, elle nous a adressé un message vidéo. Cette passation est également symboliquement le passage de flambeau entre deux équipes d’hivernants, des missions TA75 et TA76, et marque également le grand lancement de la campagne d’été, quand bien même les premiers campagnards sont arrivés il y a trois semaines.

Crédit : Nelly Gravier (TAAF)

Notre implantation en Antarctique a une double particularité. Nous sommes en Terre Adélie, d’où la présence d’un chef de district, représentant la Préfète, administratrice supérieure des TAAF, ayant également fonction d’officier de police judiciaire et d’officier d’état civil, en plus de son rôle régalien, s’assurant de la sécurité de tous et de la cohésion de la mission. Et nous sommes sur la station Dumont-d’Urville, opérée par délégation par l’Institut Polaire Français (IPEV) qui coordonne à la fois les activités de recherche et toute la logistique inhérente au bon fonctionnement de la base.

Départ de L’Astrolabe

Les marins de la Marine nationale n’auront pas eu l’occasion de débarquer durant cette rotation de L'Astrolabe. Mais nous les recevrons le mois prochain lors de la prochaine. Ce sera alors l’occasion de célébrer convenablement la dernière rotation pour plusieurs membres de l’équipage A qui passera le relai à l’équipage B en janvier.

Crédit : Nicolas Puvis (DISTA)

La semaine s’achèvera donc sur le départ des premiers hivernants de la TA75 (75e mission en Terre Adélie 2024-2025). Leur dernier vol en hélicoptère sera pour rejoindre L'Astrolabe, en appui banquise à quelques kilomètres. Pour eux, un dernier survol de ce qui aura été leur univers un an durant. Cet article ne suffirait pas à mettre en mots leur contribution pour la science et le fonctionnement de la station. Ces hommes et ces femmes ont passé une année ensemble, dans un espace confiné, isolé, éloigné de tout. Ils auront vécu des moments inoubliables au milieu des manchots et pétrels, sur ce continent à nul autre pareil. Ils auront aussi eu à faire face à quelques tempêtes dans le cœur de l’hiver. Cette année, d’une rare intensité, marquera pour toujours celles et ceux qui ont eu la chance de la vivre.