samedi 15 octobre 2022

La réinstallation "d'Antavia"

Les manchots Adélie sont de retour à Dumont d'Urville, signe annonciateur de la période estivale. Le premier sur l'ile des pétrels a été aperçu le 29 septembre. Sur le moment, il paraissait bien seul mais dans quelques semaines, ils seront environ 30.000 sur l'ile et 80.000 dans l’ensemble de l'archipel de pointe géologie. Autant vous dire que si l'humain avait pris possession de l'ile depuis plusieurs mois, il ne sera plus chez lui très bientôt.....😕.

Céline DUPIN/TAAF

Contrairement au manchot empereur qui vit sur la glace, le manchot Adélie s'installe sur les rochers. Premiers arrivés, premiers servis. Les bonnes places sont chères et disputées.

Céline DUPIN/TAAF

Le job principal du moment ? Construire le nid qui accueillera les futurs œufs. Et pour cela, il faut des petits cailloux que le manchot Adélie transporte dans son bec et récupère où il peut...quitte à aller les "piquer" sur le nid du voisin.....De belles bagarres en perspectives.

Si l'empereur peut être qualifié de "pépère placide", le manchot Adélie est plutôt du style petit, sec et nerveux...

Céline DUPIN/TAAF

Sur l'ile des pétrels, il y a un emplacement rocheux qui fait l'objet d'une étude scientifique depuis 2011 : On l’appelle la colonie "Antavia"., Une sorte de talweg en forte pente où selon les années, de 400 à 700 individus vont installer leur nid. Ils y seront suivis par les ornithologues durant toute la campagne d'été : formation des couples, pontes, couvaisons puis éclosions des œufs, biométrie des poussins, transpondage de l'ensemble des individus....

Des manchots Adélie sont en train d'en prendre possession, il est donc temps de réinstaller les matériels d'étude. Caméras, balances, lecteurs de transpondeur.....

Iban FERNANDEZ/Institut Polaire Français

C'est la tâche des personnels hivernants qui travaillent pour le programme scientifique IPEV P137, Emmanuel ci-dessus, Iban ci-dessous, auxquels il faut ajouter Paul et Laurent.

Deux points de passage obligés pour les manchots, en bas et en haut de la colonie. Iban l'électronicien, y installe des balances pour peser les manchots lorsqu'ils partent se nourrir en mer ainsi qu'à leur retour. Des lecteurs de transpondeurs permettent de repérer et suivre les individus préalablement équipés.

Emmanuel LINDEN/Météo France

Comme vous pouvez le constater ci-dessous, les manchots n'ont pas le choix. Ils passent par ces passages équipés. Des barrières tout autour les y contraignent.

Emmanuel LINDEN/Météo France

La colonie est prête. Tout en haut, la passerelle piétonne qui relie le quai maritime au bord de l'océan, à la base haute. Une cabine de veille, actuellement  couchée, sera remise en fonction pour permettre à un ornithologue d'y prendre place et assurer un suivi visuel de la colonie lors des périodes d'observations continues

Emmanuel LINDEN/Météo France

Pour aller plus loin, le nom "Antavia" provient tout simplement de la contraction des deux mots ANTennes AVIAires. C'est un projet de suivi de colonies de manchots Adélie qui a débuté en 1998 sur l'ile de Crozet et se poursuit actuellement. En parallèle, à Dumont d'Urville, deux autres colonies sont suivies pour comparaison (celles de "hall fusée" et "Isabelle").

(article réalisé avec l'aimable concours de Laurent)

jeudi 6 octobre 2022

Les aléas des transferts banquise

Le 23 septembre dernier, je vous ai laissés en plein suspens, car après avoir présenté les transferts en préparation de la campagne d'été, je ne vous ai pas tenus informés des opérations. Je poursuis donc sur ma lancée et comme un symbole par ce salut amical adressé depuis les hauteurs du continent (au lieu dit D3, toujours pour les puristes), je reprends le fil de la conversation.

Nicolas PERNIN/ Institut Polaire Français

Bon, autant lever le voile tout de suite: Les transferts de gazole et de conteneurs se sont achevés le mardi 4 octobre. Ce fût une opération menée avec succès sous la "maestria" du responsable technique de l'équipe, Nicolas. Mais, ça n'a pas été sans difficultés.....

Les douze cuves hivernées en février dernier sur les hauteurs du continent ont toutes été descendues. Sur le plan sécuritaire, ce n'est pas une opération simple car étant donné le degré d'inclinaison de la pente à franchir, outre le "Challenger de tête", on sécurise une éventuelle glissage de la cuve, à la reliant à la dameuse qui suit. Une opération technique longue et délicate.

Nicolas PERNIN/ Institut Polaire Français

Regroupement sur la banquise au pied du continent.

Nicolas PERNIN/ Institut Polaire Français

Et lorsque tout est descendu, on ramène sur la piste du Lion à 7 kilomètres de là. En principe, ça se passe bien.... sauf quand on sort de piste au nord de l'ile des pétrels, à 400 mètres de l'arrivée....

Nicolas PERNIN/ Institut Polaire Français

.....parce que la piste cède sous le poids de l’attelage (15 tonnes pour le tracteur "Challenger" et 4 tonnes pour la cuve vide). Rassurez-vous, aucun risque de passer à travers la banquise, elle a été sondée et re-sondée. Nous avons 1,30 mètres d'épaisseur de glace bien solide sous les chenilles à cet endroit.

Nicolas PERNIN/ Institut Polaire Français

Non, le problème vient d'une accumulation de neige fraiche (cinq tempêtes dans le mois de septembre) qui par endroit atteint un mètre d'épaisseur avant que l'on ne puisse trouver la banquise. Cette neige n'a pas eu le temps de durcir, ni d'être chassée par le vent. Une vraie "farine" sans aucune consistance, dans laquelle on s'enfonce avec ce type de convois lourds, surtout si nous avons quelques remontées d'eau dues à la marée (comme sur la photo de droite).

 Nicolas PERNIN/Institut Polaire Français

Le "Challenger" ne fut pas le seul à y avoir droit, le "John Deere " a aussi gouté aux joies de l’enlisement. Et quand c'est planté,.....c'est planté ! Il faut pouvoir dé-atteler la cuve (pas toujours très simple) et puis le tracter. 3h pour sortir le "John Deere" de son inconfortable position. Autant vous dire que pendant ce temps-là, les transferts ne progressent pas beaucoup.

Nicolas PERNIN/ Institut Polaire Français

Complètement "ventousé" à la neige molle, il a fallu la puissance de la dameuse additionnée à celle du Challenger" pour le tracter par l'arrière. Tout ça sous les yeux des hivernants non engagés dans l'opération, qui suivent les tentatives de dégagement du tracteur depuis la base, bien au chaud.

Nicolas PERNIN/ Institut Polaire Français

Changement de tactique. Ça ne passe pas par le nord de l'ile des pétrels ? Qu'à cela ne tienne, on passera par le sud. Direction le "pré" et sa belle glace. Seul inconvénient de taille, le "pré" est le lieu de passage préféré des milliers de manchots empereurs. Pas question de les brusquer, il faut composer, rouler à très faible allure et petit régime moteur pour ne pas effrayer "les pépères placides".

Une fois les 500 m3 de gazole transférés (en quatre longues journées de travail), il restait deux conteneurs à faire passer sur le continent, ce qui fut fait le mardi 4 octobre. Un nouveau type de convoi.

Nicolas PERNIN/ Institut Polaire Français
Nicolas PERNIN/ Institut Polaire Français

Beau temps pour l'ultime jour de transfert de cette première phase, la plus essentielle. Il y en aura prochainement une seconde, plus limitée. Presque du gâteau.

Nicolas PERNIN/ Institut Polaire Français

Et voilà le résultat sur le continent (à D0). Cuves et conteneurs bien rangés en attendant les campagnards d'été qui prendront le relais pour préparer les raids vers Concordia. Les bouchons de Champagne peuvent sauter (et ils ont sauté😎).

Nicolas PERNIN/ Institut Polaire Français

 Un grand merci à tous ceux qui se sont mobilisés pour cette réussite de la TA 72.

mardi 4 octobre 2022

Indigestion de tempêtes

Ça n'était pas arrivé depuis 2013 à Dumont d'Urville et il a fallu que ça tombe sur nous😕. Le mois de septembre a été marqué par cinq tempêtes successives. 

Autant vous le dire tout de suite, les photographies signées de notre toubib Céline (Cécile en langage IPEV😂😉) n'ont aucun rapport avec le sujet mais on en a tellement marre du vent et de la neige, que j'ai choisi de superbes couchers de soleil qu'elle avait immortalisés).

Céline DUPIN/TAAF

On a débuté le mois avec la tempête "Paul" le 3 septembre, une belle tempête de vents catabatiques dont la rafale maximale a atteint 172 km/h. On a poursuivi quatre jours plus tard le 7 septembre, avec la tempête "Jimmy" mesurée à 147 km/h, avant de prolonger la semaine suivante, avec la tempête de vents catabatiques "Jean Philippe" et sa rafale à 168 km/h.

Céline DUPIN/TAAF

Pour ceux qui n'ont pas tout suivi depuis le début, deux petits rappels :

- On parle de tempête (classique ou de vent catabatique) dès lors que le phénomène dépasse les 50 Kt (soit 92,6 km/h) de vent moyen (donc hors rafale) durant 3h consécutives,

- En terre Adélie, Météo France baptise les tempêtes des prénoms des hivernants tirés au sort.

Céline DUPIN/TAAF

Puis, le mois s'est poursuivi avec la tempête de vents catabatiques "Étienne" le 21 septembre et sa "douce" rafale maximale à 130 km/h, avant de s'achever par la  tempête "Loïc" le 26 septembre et une pointe de vitesse de 153 km/h. S'agissant d'une "tempête classique" (associée à une dépression), nous avons subi à cette occasion un important mouvement de houle marine qui a fracturé une partie de la banquise, rapprochant la polynie à moins de 9 kilomètres de la base. C'est bien pour les manchots, beaucoup moins pour nous.....😕.

Céline DUPIN/TAAF

Nos camarades de la TA 71 avaient vécu cinq tempêtes en août 2021 et une seule en septembre. Ce fut exactement le contraire pour nous. Au mois de septembre, c'est toutefois très pénalisant car c'est à cette époque de l’année que l'on doit réaliser les transferts de gazole et de matériels par la banquise, entre l'ile du lion et le continent, ainsi que les longues sorties scientifiques pour l'étude des phoques. Alors forcément, du mauvais temps, ça n'arrange pas nos affaires....

Céline DUPIN/TAAF

Pour compléter ce bilan météorologique, le mois de septembre 2022 restera un mois "chaud" (-13,9°C de moyenne mensuelle, soit +2° par rapport aux normales). S'il a fait froid en début de mois (-26,3° le 3) le minimal ayant été atteint le 12 (-28,5°), la seconde quinzaine a été plus "douce" avec une maximale de -6,9° relevée le 15. 

Tempêtes obligent, le soleil a été en retrait (-17% de durée d’ensoleillement) malgré un allongement de la durée du jour (d'une amplitude de 9h30 en début de mois à 13h fin septembre).

Céline DUPIN/TAAF

Enfin, je ne saurais conclure cet article sans préciser que nous avons vécu en septembre, 17 jours de chutes de neige, 14 jours de chasse-neige, 6 jours de blizzard et 10 jours de mur de neige. Ouf !

Nous avons ainsi franchi le cap de notre 18ième tempête de l'année. Il ne reste plus qu'à espérer qu'octobre soit bien différent....

(Article réalisé grâce aux données de la station de météo France de DDU)


vendredi 23 septembre 2022

Préparatifs de la campagne d'été

La campagne d'été 2022/2023 approche à grands pas. Pour ce qui nous concerne, si tout se déroule comme prévu (mais attention au dicton "en Antarctique, pas de pronostic"), elle débutera le 28 octobre prochain à l'arrivée du premier avion. Dans cinq petites semaines donc. Ce sera la fin de nos huit mois d'isolement total.

Parmi les incontournables de cette préparation, il y a les transferts de gazole depuis la base DDU vers la station Robert Guillard sur le continent. Ces transferts sont nécessaires à la fois pour le fonctionnement cette station mais également et surtout pour alimenter la station franco-italienne de Concordia (située à 1200 km à l’intérieur du continent) qui sera ravitaillée par trois raids terrestres cette année.

Pour effectuer ces transferts de gazole, après plusieurs sondages de banquise pour s'assurer que nous disposons de l’épaisseur suffisante (plus d'un mètre au bas mot), tout commence par la création d'une piste sur la banquise. C'est le travail de la dameuse.

Jean-Philippe GUERIN/TAAF

Longue d'une petite huitaine de km entre l'ile des Pétrels, celle du Lion et la base Robert Guillard, la piste nécessite généralement plusieurs passages pour parvenir à la réalisation d'un ruban carrossable, en mesure d'accepter des engins et des charges de près de 15 tonnes.

Jean-Philippe GUERIN/TAAF

C'est principalement le boulot de Loïc, notre mécanicien engins, parfois suppléé par Gaëtan le chef centrale et Nicolas le responsable technique. N'est-ce pas qu'il a l'air heureux comme un gamin à bord de son merveilleux engin ? Concentration et précision des manœuvres.

Jean-Philippe GUERIN/TAAF

Une fois arrivé à la station Robert Guillard, il faut récupérer sur ses hauteurs (D3 pour les puristes) les douze cuves vides qui serviront aux transferts. Pour descendre la pente vers la banquise, un "Challenger" pour tirer la cuve et une dameuse en sécurité arrière, pour éviter une éventuelle glissade en cas de perte d'adhérence.

Jean-Philippe GUERIN/TAAF

Lorsque les cuves sont descendues, on constitue des trains de trois cuves vides (4 tonnes chacune) et on prend la direction de la piste du Lion pour rejoindre la "station service".

Jean-Philippe GUERIN/TAAF

Le challenger (15 tonnes) tracte ses trois cuves vides sur la piste. C'est notre "petit raid" à nous......

Emmanuel LINDEN/Météo France

Les cuves du Lion ont été remplies par l'Astrolabe lors de la dernière campagne d'été. Débute alors une opération de pompage de cuves fixes vers les cuves mobiles. Ce jour-là, c'est Bastien notre plombier qui s'y attèle avec Vianney le second de centrale. Un travail difficile, dans le froid et les vapeurs de gazole. Le risque principal ? Un débordement inopiné de cuve ou une fuite, ce qui dans un espace protégée comme l’est l'Antarctique, ne serait pas une bonne nouvelle.

Jean-Philippe GUERIN/TAAF

Pour éviter cela, il faut sonder régulièrement durant le remplissage et savoir s’arrêter au bon moment (pas d'arrêt automatique comme lorsque vous faites le plein de votre voiture). Le remplissage nécessite donc lui aussi une bonne concentration et une attention soutenue. Un travail de professionnels rigoureux.

Jean-Philippe GUERIN/TAAF

Évidemment, les visiteurs ne manquent pas et traversent la piste sans se soucier plus que ça de ces "humains intrus" qui s’acharnent à remodeler une partie de leur banquise. Priorité absolue aux animaux, dans ce cas-là.....on attend !

Jean-Philippe GUERIN/TAAF

Une fois la cuve remplie, on prend la route en sens inverse, 15 tonnes pour la traction et 12 tonnes pour la charge attelée. A raison de 12m3 par voyage, il nous faudra 42 allers/retours pour convoyer les 500m3 nécessaires. De quoi occuper quelques journées. Ci-dessous le "Challenger" et sa charge......

Jean-Philippe GUERIN/TAAF

...puis le "John Deere" et sa charge également. Ce seront les deux engins tractants pour cette saison.

Jean-Philippe GUERIN/TAAF

A l'arrivée sur le continent, au pied de la station Robert Guillard (D0 toujours pour les puristes), une nouvelle équipe est en place pour réceptionner la cuve mobile et la dépoter dans une cuve fixe. Ce jour-là, Samuel le mécanicien de précision et Iban l'électronicien science, étaient à la manœuvre, dans le froid et le petit vent qui caractérise le continent. Tout, sauf une réelle partie de plaisir....

Jean-Philippe GUERIN/TAAF

Vous l'aurez aisément compris, les transferts de gazole impliquent directement ou indirectement une bonne partie des personnels de la base. Neuf personnes sur vingt et un hivernants ce jour-là. 

En premier lieu, les personnels techniques de l'IPEV auxquels il convient de rendre un hommage particulier. Travailleurs de l'ombre, indispensables pour permettre l'existence et le fonctionnement d'une base polaire durant toute l'année, ils sont la cheville ouvrière de la Science française en milieu antarctique.

Et puis les personnels volontaires de Météo France et des TAAF, les autres personnels de l'IPEV comme les scientifiques qui viennent donner un peu de leur temps et de leur énergie pour appuyer cette opération.

Au final, un bon moment de cohésion du groupe. 

Nous ne sommes pas encore au bout du chemin car pour qu'un transfert puisse réussir, il faut réunir simultanément quatre facteurs : des conditions météorologiques favorables, une banquise solide, des engins en état de fonctionnement et la disponibilité du personnel.

Et ce n'est pas si simple que ça, de disposer tous ces aspects au même moment.

jeudi 22 septembre 2022

Vent catabatique et mur de neige

Vous êtes plusieurs à m'avoir questionné au sujet des vents catabatiques. C'est  donc le moment d'y consacrer un article. 

Combattons tout d'abord trois fausses idées reçues :

1/ Le vent catabatique n'est pas spécifique à l’Antarctique, ni même aux zones polaires (il y a du vent catabatique en métropole)

2/ Le vent catabatique n'est pas synonyme de mauvais temps (on peut avoir du vent catabatique par grand ciel bleu),

3/ Le vent catabatique n'est pas forcément accompagné de chutes de neige.

Céline DUPIN/TAAF

Le terme catabatique est étymologiquement tiré du mot grec "katabatikos" qui signifie "qui descend la pente". Un vent catabatique est donc un vent qui descend le relief, on parle également de "vent gravitationnel". Du point de vue de la physique, un vent catabatique se met en place lorsqu'une masse d'air froide, donc plus dense que son environnement, déboule des hauteurs d'un relief vers la plaine ou le bord de mer.

Deux conditions cumulatives sont donc nécessaire pour que l'on puisse parler d'un vent catabatique :

1/ Une masse d'air froide,

2/ Un relief.

Et ça tombe bien, en Antarctique nous avons les deux réunis. Un plateau au centre du continent antarctique qui domine avec des altitudes moyennes de 2500 à 3500 mètres et un énorme glaçon de plusieurs kilomètres d'épaisseur qui recouvre le continent.

Jean-Philippe GUERIN/TAAF

Le vent catabatique, qui a pris de la vitesse tout au long de sa descente depuis le centre du continent, va arriver sur la côte (et donc DDU) avec une grande force, provoquant le plus souvent un important soulèvement de neige que l'on appelle un mur de neige (comme ci-dessus et ci-dessous). Ce mur peut atteindre plusieurs centaines de mètres de haut (c'est un peu la même image qu'une tempête de sable dans le désert même si le phénomène physique est sans rapport).

Céline DUPIN/TAAF

La neige soulevée va très fortement diminuer la visibilité qui peut tomber à quelques dizaines de mètres seulement, faisant perdre tous les repères et donc toute orientation à celui qui s'y trouverait. L'emplacement du mur n'est pas fixe, il avance et recule, parfois à grande vitesse. L'avantage de disposer d'un mur de neige, c’est que l'on peut matérialiser la position et la force des vents.

Jimmy ALLAIN/Institut Polaire Français

La surveillance du mur est un impératif de tous ceux qui sont amenés à sortir sur la banquise et parfois même au sein de la seule ile des Pétrels. Lorsque le mur est sur la base, nous avons parfois dû renoncer à certains déplacements d'un bâtiment à l'autre tant la visibilité était réduite. La surveillance du mur de neige est un travail essentiel pour la sécurité des personnes, il est conduit prioritairement par l'équipe de météorologues.

Céline DUPIN/TAAF

Après plusieurs jours de vents importants, lorsque qu'il n'y a plus de neige à soulever, le vent catabatique peut alors souffler fortement dans un ciel sans nuage.

Les vitesses atteintes sont impressionnantes (le "record" validé par Météo France à DDU est une rafale à 245 km/h). Au cours de l''hivernage actuel, jusqu'à présent, nous avons atteint un "petit" 186 km/h, de quoi tout de même faire trembler les bâtiments (certains ont alors un peu de mal à trouver le sommeil).

Nicolas PERNIN/Institut Polaire Français

Lorsque le calme revient, nous découvrons la plupart du temps une banquise remodelée : Totalement lisse, quasiment sans neige en certains endroits particulièrement soufflés comme ci-dessus.

Ces formations nouvelles sont parfois moins impressionnantes comme dans l'image ci-dessous mais sont généralement très solides, ce qui rend les déplacements à pieds plutôt agréables (on ne s'enfonce plus dans la poudreuse).

Nicolas PERNIN/Institut Polaire Français

Plus classiquement enfin, le vent a façonné des "sastrugis", c'est à dire de petites lignes de crête de neige durcie qu'il a modelées. C'est esthétiquement agréable à regarder mais usant pour se déplacer, tant à pied qu'en véhicule (motoneige).

Jean Philippe GUERIN/TAAF

Dans la très grande majorité des cas, les vents catabatiques abaissent fortement les températures ressenties au sein de la station et cette année nous avons franchi la barre des -50°C. 

Autant vous dire qu'à ce niveau-là, il n'y a plus beaucoup de volontaires pour s'aventurer à l'extérieur. Passer d'un bâtiment à un autre devient même une contrainte, entre les congères qu'il faut franchir, le froid et la neige qui s'insinue dans toutes les aspérités et sur le moindre bout de peau non recouverte.  

(Un remerciement particulier à Adrien et Emmanuel de Météo France pour leur précieuse contribution)

mercredi 14 septembre 2022

Quand la TA72 va au cirque...

Parmi les sorties loisirs qui font recette auprès des hivernants, incontestablement celles en rapport avec les "gros bergs" tiennent le haut de l'affiche. Nous avons déjà eu l'occasion d'en parler sur ce blog lors d'un précédent article, les immenses icebergs issus du vêlage du glacier de l'Astrolabe en novembre 2021, continuent d'attirer les curieux.

Cette fois-ci, grâce aux images satellitaires, une formation originale avait été repérée. Constituant une sorte de vaste enclos, aussitôt baptisée "le cirque", il a suffit d'attendre patiemment le bon créneau météorologique pour s'en approcher et tenter d'y pénétrer.

Malgré la précision des images, on ne peut jamais savoir dans quel état va se trouver la banquise entre ces mastodontes de glace (épaisse ou fracturée) ni comment les grandes parois verticales vont se présenter (étroites ou plus larges, déchiquetées ou bien lisses). Il faut donc aller voir sur place.

Un point est certain : aucune sortie banquise à caractère de loisir ou à visée scientifique ne justifie qu'un risque inconsidéré soit pris en terme de sécurité. Nous sommes trop démunis en terme de moyens de secours et de soins hospitaliers pour prendre des risques disproportionnés.

Image satellitaire "Sentinel" - Adrien Colomb/ Météo France

Le 10 septembre dernier, par une belle journée ensoleillée, sans vent et aux températures douces (-14°), huit hivernants se sont donc lancés à l'assaut du cirque (en rouge, le tracé GPS). Après deux bonnes heures de marche d'approche en longeant les "gros bergs", ils se sont mis à la recherche d'une porte d'entrée. Une première tentative de franchissement échoue, la porte est trop étroite et n'inspire pas confiance. Il faut savoir renoncer, reculer pour mieux sauter. 

La seconde porte sera la bonne. Un long défilé suffisamment large et un sol plutôt parfait pour progresser.

Céline DUPIN/TAAF

Il faut savoir zigzaguer entre les icebergs, garder la tête levée, espacer les marcheurs pour limiter le risque pris et ne pas s'attarder dans le défilé. Dans ce milieu extrême, le risque zéro n'existe pas. Le risque se classe seulement en "acceptable" ou "non acceptable".

Adrien COLOMB/Météo France

Que l'homme parait petit et fragile dans cet environnement étourdissant !

Céline DUPIN/TAAF

Au terme du passage, les parois s'écartent, le danger lié à la chute d'un bloc disparait, le cirque se dessine. Le soleil se montre à nouveau, signe du débouché imminent.

Jimmy ALLAIN/Institut Polaire Français

Celui qui a pris l'option "raquettes" s'en sort visiblement mieux que son collègue, difficile de gagner à tous les coups......Pas toujours facile de prévoir les zones d'accumulation de neige fraiche...

Jimmy ALLAIN/Institut Polaire Français

Et voilà le cirque ! Une immense esplanade presque totalement vide, complètement encerclée d'immenses icebergs. Des "gros bergs" à perte de vue, sur un panorama à 360°. Un joli spectacle pour les yeux et un calme absolu. Seuls au monde !

Céline DUPIN/TAAF

La presque solitude du marcheur hivernant, façon héros polaire !

Jimmy ALLAIN/Institut Polaire Français

Le cirque comporte sa grotte (n'y pensez même pas, il ne viendrait pas à l'idée d'un hivernant responsable d'y pénétrer).....

Céline DUPIN/TAAF

...ainsi que son lac. Oui oui, c'est bien de l'eau certes un peu figée en raison des températures négatives mais de l'eau à l'état presque liquide quand même. C'est le signe que les icebergs bougent et que malgré 1,43 m d'épaisseur de banquise, l'eau parvient à remonter à la surface au travers des fractures de banquise.

Possiblement, on pourrait même y trouver des phoques (cf l'article précédent).

Adrien COLOMB/Météo France

Après une heure de déambulations dans le cirque, il est temps de penser à rentrer. Le retour se fera par une autre porte baptisée "les champs Élysées" en raison de sa largeur. Au final, la sortie d'un peu plus de 21 km aura constitué sans aucun doute un des très bons moments de l'hivernage, à ranger dans la boite personnelle à souvenirs.

Adrien COLOMB/Météo France

Prochain défi, rentrer par le nord du cirque et en ressortir par le sud. On y travaille, on le prépare et on attend la fenêtre météo adaptée. Il y aura des volontaires à n'en pas douter.