C'est de nouveau Gaétan, notre responsable météo, qui prend la plume pour nous parler d'un phénomène complètement de sa compétence dont l'omniprésence en Terre Adélie n'a d'égale que sa méconnaissance par le grand public.
Le vent catabatique
« Catabatique » ou « cata », c’est un mot
du langage courant à DDU, peu usité voire totalement inconnu du grand public.
De quoi s’agit-il ?
Commençons par l’étymologie : catabatique vient du grec
« katabatikos », qui signifie « descendant la pente ».
Le vent catabatique est donc un vent qui descend la pente, et
on peut le trouver dès lors qu’il y a du relief. Le phénomène de brise de
pente, en montagne, lorsque l’air froid descend vers la vallée, est un vent
catabatique. La circulation inverse est appelée anabatique.
En Terre Adélie, la pente, c’est celle du bord du continent
antarctique, où l’altitude passe de 3000 à 0m en quelques centaines de
kilomètres, avec un profil convexe : la pente augmente à mesure qu’on se
rapproche du littoral.
Pourquoi le vent descend la pente ?
Pour simplifier, on peut considérer l’Antarctique comme un
immense plateau, très élevé, où la production de froid est continue, et plus
forte en hiver qu’en été. Couvert par une immense calotte glaciaire que le
soleil n’éclaire qu’occasionnellement et de manière rasante, la surface du
continent antarctique est en déficit radiatif, et a donc tendance à se
refroidir.
Ce refroidissement entraîne la formation d’un anticyclone en
surface, à partir duquel l’air va diverger. En altitude, un puissant tourbillon
cyclonique se met en place l’hiver, c’est le fameux vortex polaire
stratosphérique, qui joue un rôle essentiel dans la dépletion d’ozone au
printemps austral, mais c’est un autre sujet...
Produit au sommet du plateau, cet air froid s’écoule par
gravité, vers le littoral. Comme la pente augmente à l’approche du littoral,
l’écoulement catabatique s’accélère.
Au départ, c’est un écoulement lent, influencé par la force
de Coriolis, qui fait dévier les objets en mouvement – vers la gauche dans
l’Hémisphère Sud. En approchant du littoral, c’est plutôt le relief, et la
disposition des langues glaciaires, comme celle de l’Astrolabe, qui contraint
l’écoulement.
A Dumont d’Urville, le catabatique provient d’un large
quadrant Sud-Est, entre 120 et 180°, et la prédominance de ce régime de vent se
visualise très bien sur une rose des vents.
Pourquoi est-il si fort en Terre Adélie ?
La Terre Adélie, secteur de l’Antarctique entre 136 et 142°
de longitude Est, ainsi que la Terre du Roi George V, entre 142 et 154°E, sont
réputées pour leur climat très venteux. Il y a un siècle, l’explorateur
australien Douglas Mawson, après un hivernage très rude dans le secteur, la
baptisa « Home of the Blizzard ». C’est une réalité, puisque d’après
les réanalyses climatiques, c’est à proximité de Cape Denison, par 146°Est de
longitude, que se situe l’endroit le plus venté du continent, et probablement
de tout le globe, au moins au niveau de la mer : 16,4 mètres par seconde
en moyenne (59 km/h), d’après les estimations des réanalyses climatiques !
C’est presque le double qu’à Dumont d’Urville, qui,
contrairement à l’ancienne base de Port Martin, ne se situe pas dans l’axe
d’écoulement des plus forts vents catabatiques.
L’est de la terre Adélie, et en allant plus à l’Est, vers les
glaciers Mertz et Ninnis, constitue le débouché de l’écoulement catabatique
produit sur le Dome C, à un peu plus de 1000 km à l’intérieur des Terres, où il
est très nettement accéléré au niveau du littoral par la disposition du trait
de côte, et de la présence des langues glaciaires de Mertz et Ninnis, beaucoup
plus contraignantes pour l’écoulement que l’Astrolabe.
Sur les trente dernières années, la vitesse moyenne du vent
est de 9,2 m/s (33 km/h) à DDU, avec des variations saisonnières.
On remarque deux pics sur la vitesse moyenne du vent :
le premier en mars, le deuxième en septembre. C’est par contre en septembre que
se produit le plus fréquemment les plus violentes tempêtes (rafales supérieures
à 140 km/h), avec près de 5 jours en moyenne contre 2,5 en mars.
On peut résumer le régime de vent annuel de la manière
suivante : le vent catabatique est plus fréquent en hiver (de mai à
septembre), lorsque l’intérieur du continent est le plus froid. Mais c’est aux
équinoxes, en particulier celui d’automne en mars, que les tempêtes australes
sont les plus fréquentes, car à ce moment, le gradient nord-sud de températures
dans l’atmosphère est le plus fort, c’est ce gradient qui explique la formation
rapide des dépressions très creuses.
Ainsi, le forçage des vents catabatiques résulte de
mécanismes de grande échelle, influencés par la circulation générale et
circumpolaire notamment, lors des changements de saisons.
Les tempêtes catabatiques les plus violentes et durables se
produisent lorsqu’une dépression de l’océan austral se creuse près du
continent, et stationne plusieurs jours au nord-est de DDU.
L’air froid du continent est aspiré par cette dépression et
s’enroule dans le sens des aiguilles d’une montre, à l’inverse de l’Hémisphère
Nord.
En moyenne, le vent atteint 100 km/h en rafales 118 jours par
an à DDU, soit près d’un jour sur 3. La barre des 140 km/h, extrêmement rare
dans les plaines de métropole, est franchie 32 jours par an en moyenne. Depuis
le début des relevés, il y au moins une fois par an une rafale à 180 km/h. Le
record absolu de vent a été mesuré en juin 1972 à 320 km/h lors d’un phénomène
bien particulier, appelé phénomène de Loewe. Cette rafale a été mesurée sur un
type d’anémomètre qui avait tendance à surestimer les fortes rafales. Depuis
1981 et l’installation de nouveaux capteurs, le record de vent est de 245 km/h
en mai 1988.
En hiver, les jours de beau temps, il est très fréquent de
voir un « mur de neige » de plusieurs centaines de mètres sur le
continent, à une dizaine de kilomètres de DDU, qui profite alors d’un vent
faible.
En quelques minutes, il peut, à la manière d’une vague,
déferler sur la base, rendant les activités en extérieur plus périlleuses…
Mur de neige à proximité de la manchotière. Conditions de blizzard: vent fort, très mauvaise visibilité - Crédit photo: Gaétan Heymes |
Qu’est ce que le phénomène de Loewe ?
Aussi surprenant que dangereux pour les premiers hivernants
en Terre Adélie, à Port Martin, ce phénomène est, dans une moindre mesure,
également possible à DDU.
Il consiste en une brusque variation de la vitesse du vent,
de la température, de la pression et de l’humidité. Il se produit en général en
fin d’épisode catabatique, lorsque l’interface entre l’écoulement catabatique
et l’environnement extérieur, parfaitement visible par un mur de neige
soufflée, reflue vers le continent. Cette interface a la particularité d’être
le siège d’une très forte turbulence, un phénomène physique qui explique la
variation temporelle et spatiale très rapide des principales variables
météorologiques (température, pression, humidité).
C’est ainsi que les rafales peuvent, en quelques minutes,
passer de 200 km/h à presque 0, avec une remontée de la température de
plusieurs °C, une baisse rapide de l’humidité relative, et un « saut de
pression », caractéristique qui donne son nom à ce phénomène en
anglais : catabatic jump.
Pour plus d’informations, j’ai rédigé un article plus complet
sur mon blog relatif à ce phénomène : https://heymespheresud.blogspot.com/2019/07/parenthese-de-douceur.html
Très bel article ! On arrive à visualiser avec précision. Merci beaucoup !
RépondreSupprimerY a t'il sur ce pole des zones habités avec de vrais villes et infrastructures comme au Pole Nord ? Le Pole Sud est-il exclusivement réservés à des recherches scientifiques ?
Bonjour,
SupprimerLe Continent est, selon l'article 2 du Protocole de Madrid, une réserve naturelle dédiée à la science et la paix. Les infrastructures doivent être étudiées pour limiter au maximum leur impact environnemental.
Il existe cependant deux bases chilienne et argentine qui accueillent des populations civiles (réduites) dans une perspective de "colonisation" de la péninsule (Antarctique nord ouest): Las Estrellas et le fortin Sergent Cabral.
Par ailleurs, la base américaine de Mac Murdo est une petite ville (1000), sans visée colonisatrice cependant.
Pour le reste, l'essentiel des "habitants" du Continent sont des chercheurs et des personnels techniques / logistiques qui restent quelques mois à un hivernage.
RG
Merci au météorologue pour cet article aussi passionnant qu'instructif.
SupprimerCordialement,
Pierre M.