jeudi 14 février 2019

Programme phoques de Weddell - DDU 2019

Cet article a été rédigé par Xavier, l'un des scientifiques (avec Mark) en charge du programme décrit ci-après et actuellement en développement dans la Zone Spécialement Protégée de l'Antarctique (ZSPA) n°120 de l'archipel de Pointe Géologie où est implantée la base Dumont d'Urville. Les travaux couvrent la période comprise entre les rotations R3 et R4 de l'Astrolabe, du 26 janvier au 23 février (date de principe pour le retour).
                                                                                                                      Le Dista

Description du projet

Le programme de déploiement de balises satellites est le fruit d'une collaboration entre des chercheurs français du laboratoire LOCEAN a Paris et des chercheurs d'Australie du système d'observation des océans IMOS (Integrated Marine Observing System) basé a Hobart, en Tasmanie. Le but du projet est d'examiner les migrations et profils de plongée des phoques de Weddell, et de corréler leur comportement avec l'environnement marin polaire dans lequel ils évoluent. Toutes ces informations peuvent être extraites des données collectées et transmises par les balises, fabriquées par le laboratoire SMRU - Sea Mammal Reseach Unit, à l'Université de St Andrews en Ecosse.

Phoque de Weddell roupillant allègrement sur la banquise entre Nunatak et Le Mauguen

Fonctionnement des balises satellites

Ces balises s'activent automatiquement une fois l'animal immergé et mesurent à très haute résolution les pression, température, salinité, fluorescence et lumière lors des plongées du phoque. Elles nous fournissent également leurs positions, avec une précision allant de 150m à 10 km, lors de la communication entre la balise et la constellation de satellites Argos, gérée par l'entreprise Collecte Localisation Satellite (CLS) basée à Toulouse. Ces données, collectées à la fréquence d'une mesure toutes les 5 secondes, sont ensuite analysées par l'ordinateur de bord qui les compresse afin qu'une partie puisse être transmise lorsque l'antenne de la balise est exposée à l'air au moment où le phoque revient à la surface de la mer pour respirer. Néanmoins, en raison du peu de temps que l'animal reste à la surface, de la bande passante limitée et du faible nombre de satellites disponibles pour recevoir le signal, seulement 10 à 20 % des données enregistrées peuvent être transmises et reçues par l'équipe de recherche. Certains animaux, comme les éléphants de mer sur l'archipel des iles Kerguelen, reviennent à terre d'une année sur l'autre au même endroit, ce qui permet de récupérer la balise, télécharger toutes les données enregistrées, et la redéployer ultérieurement une fois la batterie remplacée et les capteurs recalibrés en laboratoire. Ces balises résistent à la pression jusqu'à une profondeur de 2000 mètres, profondeur maximale de plongée des éléphants de mer, et fonctionnent généralement entre 6 et 12 mois. Durant cette période elles fournissent en moyenne trois profils de température et salinité de haute qualité par jour, profils précieux pour la communauté scientifique et météorologique pour les modèles de prévision de circulation océanographique et atmosphérique. Ainsi, grâce à ces balises, le comportement de l'animal et son environnement peuvent être étudiés simultanément pour le bénéfice des écologistes et physiciens, et ce dans des conditions polaires extrêmes où il est typiquement difficile et très onéreux de mener des campagnes océanographiques.

Phoque de Weddell adulte femelle équipé d'une balise satellite

Sélection de l’animal

Pour ce programme, nous voulons déployer les balises sur des phoques de Weddell adultes femelles car elles vont se nourrir généralement plus loin de la côte et à des profondeurs plus importantes que les mâles, jusqu'à 500 mètres de profondeur pour une durée de plongée de plus d'une heure. Ces impressionnants mammifères, qui peuvent faire jusqu'à 600 kg et 3.5 mètres de long, sont généralement trouvés sur la banquise les jours de beau temps à proximité d'un trou d'eau. Chaque année, au mois de février, ils perdent leur fourrure de l'hiver précèdent. Puisque notre méthodologie nécessite de coller la balise sur la tête du phoque pour maximiser les opportunités de transmission avec les satellites qui recevront le signal, il nous faut explorer la banquise pour trouver des animaux qui ont déjà fini de muer, faute de quoi la balise tomberait de l'animal prématurément lors de la perte de fourrure. Fort heureusement, autour des iles de l'archipel de pointe Géologie où la station Dumont D'Urville se situe, les phoques de Weddell peuvent être observés régulièrement, et à proximité de la base nous en voyons la plupart du temps une trentaine chaque jour.
Carte montrant les positions des cinq phoques sur lesquels ont été déployées à ce jour des balises satellites

Déploiement de la balise

Une fois un animal adéquat repéré, mon collègue Mark et moi (tous deux de l'université de Tasmanie), aidés de quelques volontaires, descendons de la colline sur laquelle se situe le laboratoire de biologie de la station en trainant trois traineaux chargés d'équipements pour les manipulations scientifiques à effectuer, e.g. époxy et balises, matériel médical et bouteille d'oxygène pour l'anesthésie en cas de besoin de réanimation, capuche et instruments de mesure. Après 20-40 minutes de marche nous nous trouvons à proximité de l'animal que nous avions observé auparavant. La première chose à faire est de placer sur la tête de l'animal une capuche d'un mètre de long, cette dernière ayant un opercule pour laisser sortir le museau et empêcher toute morsure ultérieurement. Il s'agit ensuite d'immobiliser l'animal en mettant le poids d'au moins trois personnes sur son dos afin d'éviter une séance de rodéo polaire.

Une fois l'animal statique, un chercheur vétérinaire fait ensuite une injection d'anxiolytique (du Midazolam, un équivalent du Valium) en intraveineuse. Lorsque l'on sent que les muscles de l'animal se détendent, la capuche peut être retirée, et l'on peut procéder à l'anesthésie gazeuse de Sedoflurane. L'animal endormi, on peut ensuite procéder a sa pesée a l'aide d'un trépied, mesurer sa longueur et sa circonférence, et lui attacher la balise satellite sur le haut de la tête. Cette dernière opération nécessite d'utiliser une couche fine d'époxy qui sèche en moins de 10 minutes. Enfin, on prélève une vibrisse de l'animal afin de déterminer son alimentation de retour au laboratoire. Les signes vitaux sont vérifiés en permanence (respiration, couleur des gencives) et une procédure de réveil d'urgence est prête au moindre signe d'insuffisance respiratoire. Une fois la balise fermement collée, on retire le masque du museau de l'animal, qui généralement reprend connaissance dans les cinq minutes et retourne à l'eau dans les heures qui suivent le déploiement. La procédure du début à la fin dure typiquement moins d'une heure.
Exemple de section océanographique obtenue par une des balises, montrant la température (à gauche) et la salinité (à droite) mesurées en fonction de la profondeur et de la date



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