mardi 24 septembre 2019

Le Rocher du Débarquement



 Charles, notre mécanicien garage, reprend la plume (rappelez vous: "Et soudain, le silence...") pour nous parler, cette fois, d'une sortie effectuée il y a quelques semaines dans le cadre d'une séance de sondages de la glace de mer destinée à suivre l'évolution de l'épaisseur de banquise. Cette manip devait ainsi amener la petite équipe de participants jusqu'au mythique Rocher du Débarquement où aborda celui qui allait donner son nom à notre base actuelle et baptiser du prénom de son épouse, Adèle, cette terre nouvelle ainsi découverte.

Le Rocher du Débarquement

Les conditions météo de la fin août sont très favorables, bien ensoleillées, quasiment sans nuage hormis quelques cirrus épars. Peu de vent, le catabatique s’est retiré sur le continent. Des températures froides favorisent également une banquise épaisse et solide. Tout semble nous inviter à une grande sortie hors de la base. 
 
C’est le dimanche 1er septembre que nous choisissons pour conduire la deuxième sortie vers le Rocher du Débarquement.

Le Rocher du Débarquement fait partie des iles Dumoulin, un groupe d’ilots émergeant dans le Nord Est de  l’archipel de Pointe Géologie. Il doit son nom à Jules Dumont d’Urville puisque c’est sur ce rocher culminant à dix-neuf mètres qu’il a débarqué le 22 janvier 1840. Le Rocher du Débarquement est classé comme site historique de l’Antarctique. 

Une première expédition de la TA 69 avait déjà atteint cette ile le 29 juillet, mais avec les astreintes et les obligations (quart centrale, pompiers, service base) toutes les personnes intéressées par cette sortie n’avaient pu y prendre part. Une deuxième session devenait alors indispensable. 

Malheureusement, le temps et l'environnement ici rythment notre quotidien et les possibilités de sortie. Une période de redoux et de tempête sur plusieurs jours ont eu raison de la banquise pourtant épaisse (environ un mètre) et une vaste polynie s’est formée juste devant la base. Cet épisode de "chaleur" exceptionnelle pour ce mois d’août, n’a pourtant pas duré bien longtemps. Avec le retour des températures normales pour la saison, entre -20 et -25°C, une nouvelle banquise s’est rapidement formée, permettant quelques raids de reconnaissance, vers la Dent notamment, et de rouvrir la voie vers Débarquement.

Le temps est beau, le ciel est bleu, la météo est parfaite pour cette journée. Le mercure indique -25,5°C et le vent, pourtant omniprésent d’ordinaire sur cette portion de l’Antarctique, s’est tu: trois nœuds en moyenne seulement sur la journée. 

Notre équipe du jour se compose de dix hivernants : Maëlle (second centrale), Mervyn (intrum), Guillaume (Lidar), Douglas (manchologue), Jeremy (technicien météo), Raphaël (menuisier), Aurélien (électrotechnicien), Greg (glaciologue), Nicolas T (mépré) et moi-même.

Cap au Nord.
La banquise de début d’hiver est recouverte d’une couche de neige compacte. Quelques sastrugi se sont formés par endroit. Puis, l'équipe atteint la zone de banquise récente, vestige de la polynie de début août. La surface ici est lisse comme un miroir, la poudre blanche n’est pas encore venue recouvrir le gris de la glace de mer.

 
Sur la jeune banquise - Crédit photo: Mervyn Ravitchandirane - IPEV



Afin de pimenter le challenge, Douglas et moi sommes équipés de skis de fond mais, au bout d'un moment nous y renonçons, la banquise ne se prêtant pas trop à cet exercice dans son état actuel. Elle est bien trop lisse et glissante. Il nous faudrait plus de neige pour avancer convenablement. Nous laissons donc les skis à proximité d’un iceberg pour les retrouver facilement lors du retour et chaussons les Sorrel. C’est un grand plaisir de retrouver sa liberté de mouvement dans les bottes de banquise.


En route vers le Rocher - Crédit photo: Mervyn Ravitchandirane - IPEV

Cette sortie est également l’occasion de vérifier l’état et l’épaisseur de la banquise. Equipés d’une tarière sur batterie et d’un mètre ruban spécialement modifié pour permettre les mesures, nous effectuons des sondages tous les kilomètres environ. Les points de sondage sont sauvegardés par un GPS. Malgré seulement trois semaines d’existence, la nouvelle banquises atteint déjà soixante centimètres en moyenne et est composée de glace très dure. La prudence reste tout de même de mise surtout aux abords des failles, rivières et zones de compression autour des iles.

Mise en place de la tarière - Crédit photo: Maëlle Giraud

Après environ une heure et demie de marche, nous atteignons le Rocher du Débarquement. Il est 12h. Nous venons de parcourir sept kilomètres depuis la base. Nous explorons l’ile. Une plaque commémore l’arrivée en Antarctique de L’Astrolabe et de la Zélée, les navires de Jules Dumont d’Urville. 


Plaque commémorative - Crédit photo: Mervyn Ravitchandirane - IPEV

On peut également découvrir quelques traces de manchots Adélie et de leurs nids ainsi que des vestiges du passage de l’homme, mât avec haubans et pitons dans le rocher, témoignages d’un amer  ou d’une expérience laissés sur place.
Il est maintenant largement temps de faire une pause casse-croûte pour retrouver quelques forces. Les sandwichs de Bertrand sont toujours d’un grand réconfort après quelques heures sur la banquise. Face au Nord, l’océan austral, du moins la banquise, s’étire jusqu’à l’horizon. Seules les immenses icebergs tabulaires viennent par endroit modifier l’aspect lunaire de la banquise. On fait difficilement mieux comme panorama pour manger  C’est le point le plus Nord que nous ayons atteint au cours de l’hivernage, aucune autre île plus septentrionale n’est accessible en une journée de marche.


 
Face au Nord - Crédit photo: Mervyn Ravitchandirane - IPEV

Sur le trajet du retour, notre itinéraire nous fait passer par les iles Dumoulin. Nous faisons une halte sur l’Ile du Dépôt puis nous nous dirigeons vers les iles Curie et La Dent. Tout au long du trajet retour, on longe le glacier de l’Astrolabe. Vu d’ici, on prend mieux conscience de l’énormité du glacier. Ses dimensions sont impressionnantes. La taille et le nombre des icebergs vêlés le sont tout autant. Les failles qui s’ouvrent dans la glace millénaire nous laissent apercevoir le continent et de nouvelles étendues inexplorées, comme une invitation à poursuivre le voyage plus loin. Le temps suspend son cours. J’ai l’impression d’être sur une planète lointaine, très lointaine. Le silence est absolu. C’est un moment grandiose.
 
 
Sur le retour - Crédit photo: Maëlle Giraud

Après avoir récupéré les skis laissés à l’ombre de leur berg, nous nous dirigeons de nouveau vers DDU. La base grossit à mesure que nous approchons. La première image que j’ai eu d'elle me revient en mémoire. A travers la brume, on apercevait les bâtiments colorés sur ce promontoire rocheux sous le même angle qu'aujourd'hui. Les manchots Empereur se font plus nombreux et convergent, non pas vers la base mais vers l’anse du Pré où se tient la colonie, pour aller y nourrir leur progéniture.
Au terme de l’ultime montée sur la base haute, les jambes tirent un peu avec dix-sept kilomètres parcourus en tenue « grand froid » et avec les "sacs banquise". Pourtant, tout le monde a le sourire. L’aventure était belle. 

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