samedi 31 août 2019

Le vent catabatique


C'est de nouveau Gaétan, notre responsable météo, qui prend la plume pour nous parler d'un phénomène complètement de sa compétence dont l'omniprésence en Terre Adélie n'a d'égale que sa méconnaissance par le grand public.


Le vent catabatique

« Catabatique » ou « cata », c’est un mot du langage courant à DDU, peu usité voire totalement inconnu du grand public.
De quoi s’agit-il ?
Commençons par l’étymologie : catabatique vient du grec « katabatikos », qui signifie « descendant la pente ».
Le vent catabatique est donc un vent qui descend la pente, et on peut le trouver dès lors qu’il y a du relief. Le phénomène de brise de pente, en montagne, lorsque l’air froid descend vers la vallée, est un vent catabatique. La circulation inverse est appelée anabatique.
Schéma du vent catabatique (à gauche) et anabatique (à droite)
En Terre Adélie, la pente, c’est celle du bord du continent antarctique, où l’altitude passe de 3000 à 0m en quelques centaines de kilomètres, avec un profil convexe : la pente augmente à mesure qu’on se rapproche du littoral.

Pourquoi le vent descend la pente ?
Pour simplifier, on peut considérer l’Antarctique comme un immense plateau, très élevé, où la production de froid est continue, et plus forte en hiver qu’en été. Couvert par une immense calotte glaciaire que le soleil n’éclaire qu’occasionnellement et de manière rasante, la surface du continent antarctique est en déficit radiatif, et a donc tendance à se refroidir.

Ce refroidissement entraîne la formation d’un anticyclone en surface, à partir duquel l’air va diverger. En altitude, un puissant tourbillon cyclonique se met en place l’hiver, c’est le fameux vortex polaire stratosphérique, qui joue un rôle essentiel dans la dépletion d’ozone au printemps austral, mais c’est un autre sujet...

Produit au sommet du plateau, cet air froid s’écoule par gravité, vers le littoral. Comme la pente augmente à l’approche du littoral, l’écoulement catabatique s’accélère.
Au départ, c’est un écoulement lent, influencé par la force de Coriolis, qui fait dévier les objets en mouvement – vers la gauche dans l’Hémisphère Sud. En approchant du littoral, c’est plutôt le relief, et la disposition des langues glaciaires, comme celle de l’Astrolabe, qui contraint l’écoulement.
A Dumont d’Urville, le catabatique provient d’un large quadrant Sud-Est, entre 120 et 180°, et la prédominance de ce régime de vent se visualise très bien sur une rose des vents.

Pourquoi est-il si fort en Terre Adélie ?
La Terre Adélie, secteur de l’Antarctique entre 136 et 142° de longitude Est, ainsi que la Terre du Roi George V, entre 142 et 154°E, sont réputées pour leur climat très venteux. Il y a un siècle, l’explorateur australien Douglas Mawson, après un hivernage très rude dans le secteur, la baptisa « Home of the Blizzard ». C’est une réalité, puisque d’après les réanalyses climatiques, c’est à proximité de Cape Denison, par 146°Est de longitude, que se situe l’endroit le plus venté du continent, et probablement de tout le globe, au moins au niveau de la mer : 16,4 mètres par seconde en moyenne (59 km/h), d’après les estimations des réanalyses climatiques !
Vent moyen en hiver (JJA) 1980-1993 d'après Van Lipzig et al.,2004

C’est presque le double qu’à Dumont d’Urville, qui, contrairement à l’ancienne base de Port Martin, ne se situe pas dans l’axe d’écoulement des plus forts vents catabatiques.
L’est de la terre Adélie, et en allant plus à l’Est, vers les glaciers Mertz et Ninnis, constitue le débouché de l’écoulement catabatique produit sur le Dome C, à un peu plus de 1000 km à l’intérieur des Terres, où il est très nettement accéléré au niveau du littoral par la disposition du trait de côte, et de la présence des langues glaciaires de Mertz et Ninnis, beaucoup plus contraignantes pour l’écoulement que l’Astrolabe.


Topographie de la Terre Adélie - Source: archives DDU
Sur les trente dernières années, la vitesse moyenne du vent est de 9,2 m/s (33 km/h) à DDU, avec des variations saisonnières.
On remarque deux pics sur la vitesse moyenne du vent : le premier en mars, le deuxième en septembre. C’est par contre en septembre que se produit le plus fréquemment les plus violentes tempêtes (rafales supérieures à 140 km/h), avec près de 5 jours en moyenne contre 2,5 en mars.
On peut résumer le régime de vent annuel de la manière suivante : le vent catabatique est plus fréquent en hiver (de mai à septembre), lorsque l’intérieur du continent est le plus froid. Mais c’est aux équinoxes, en particulier celui d’automne en mars, que les tempêtes australes sont les plus fréquentes, car à ce moment, le gradient nord-sud de températures dans l’atmosphère est le plus fort, c’est ce gradient qui explique la formation rapide des dépressions très creuses.
Ainsi, le forçage des vents catabatiques résulte de mécanismes de grande échelle, influencés par la circulation générale et circumpolaire notamment, lors des changements de saisons.
Les tempêtes catabatiques les plus violentes et durables se produisent lorsqu’une dépression de l’océan austral se creuse près du continent, et stationne plusieurs jours au nord-est de DDU.
L’air froid du continent est aspiré par cette dépression et s’enroule dans le sens des aiguilles d’une montre, à l’inverse de l’Hémisphère Nord.

En moyenne, le vent atteint 100 km/h en rafales 118 jours par an à DDU, soit près d’un jour sur 3. La barre des 140 km/h, extrêmement rare dans les plaines de métropole, est franchie 32 jours par an en moyenne. Depuis le début des relevés, il y au moins une fois par an une rafale à 180 km/h. Le record absolu de vent a été mesuré en juin 1972 à 320 km/h lors d’un phénomène bien particulier, appelé phénomène de Loewe. Cette rafale a été mesurée sur un type d’anémomètre qui avait tendance à surestimer les fortes rafales. Depuis 1981 et l’installation de nouveaux capteurs, le record de vent est de 245 km/h en mai 1988.
En hiver, les jours de beau temps, il est très fréquent de voir un « mur de neige » de plusieurs centaines de mètres sur le continent, à une dizaine de kilomètres de DDU, qui profite alors d’un vent faible.

Mur de neige le 20 mai 2019 - Crédit photo: Gaétan Heymes

Idem
En quelques minutes, il peut, à la manière d’une vague, déferler sur la base, rendant les activités en extérieur plus périlleuses…

Mur de neige à proximité de la manchotière. Conditions de blizzard: vent fort, très mauvaise visibilité - Crédit photo: Gaétan Heymes         

Idem


Qu’est ce que le phénomène de Loewe ?

Aussi surprenant que dangereux pour les premiers hivernants en Terre Adélie, à Port Martin, ce phénomène est, dans une moindre mesure, également possible à DDU.
Il consiste en une brusque variation de la vitesse du vent, de la température, de la pression et de l’humidité. Il se produit en général en fin d’épisode catabatique, lorsque l’interface entre l’écoulement catabatique et l’environnement extérieur, parfaitement visible par un mur de neige soufflée, reflue vers le continent. Cette interface a la particularité d’être le siège d’une très forte turbulence, un phénomène physique qui explique la variation temporelle et spatiale très rapide des principales variables météorologiques (température, pression, humidité).
C’est ainsi que les rafales peuvent, en quelques minutes, passer de 200 km/h à presque 0, avec une remontée de la température de plusieurs °C, une baisse rapide de l’humidité relative, et un « saut de pression », caractéristique qui donne son nom à ce phénomène en anglais : catabatic jump.

Mur de neige sur le continent, derrière le mât ionosphérique - Crédit photo: Gaétan Heymes
 
Pour plus d’informations, j’ai rédigé un article plus complet sur mon blog relatif à ce phénomène : https://heymespheresud.blogspot.com/2019/07/parenthese-de-douceur.html

3 commentaires:

  1. Très bel article ! On arrive à visualiser avec précision. Merci beaucoup !
    Y a t'il sur ce pole des zones habités avec de vrais villes et infrastructures comme au Pole Nord ? Le Pole Sud est-il exclusivement réservés à des recherches scientifiques ?

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    1. Bonjour,

      Le Continent est, selon l'article 2 du Protocole de Madrid, une réserve naturelle dédiée à la science et la paix. Les infrastructures doivent être étudiées pour limiter au maximum leur impact environnemental.

      Il existe cependant deux bases chilienne et argentine qui accueillent des populations civiles (réduites) dans une perspective de "colonisation" de la péninsule (Antarctique nord ouest): Las Estrellas et le fortin Sergent Cabral.

      Par ailleurs, la base américaine de Mac Murdo est une petite ville (1000), sans visée colonisatrice cependant.

      Pour le reste, l'essentiel des "habitants" du Continent sont des chercheurs et des personnels techniques / logistiques qui restent quelques mois à un hivernage.

      RG

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    2. Merci au météorologue pour cet article aussi passionnant qu'instructif.

      Cordialement,
      Pierre M.

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