Dumont d'Urville est avant tout une base scientifique avec tout ce que cela sous entend de travail de recherche et d'observation un peu mystérieux pour les non-initiés. C'est également la porte d'accès terrestre privilégiée à la station de Concordia. Ses capacités logistiques sont donc en rapport avec cette situation. Mais DDU est aussi un village capable de vivre en autarcie complète durant les huit mois d'isolement imposés par l'hiver austral. La Mission TA69 et ses 23 membres forment l'actuelle communauté de ce village. Un petit monde de diversité d'origine, d'âge, de culture, de sensibilité et de fonction. A chacun son métier. Certains ont souhaité en parler.
Douglas et Virgil, ornithologues du programme 137 de l'IPEV pour le premier et du programme 109 pour le second sont de ceux-là.
Etre ornithologue à DDU
On voit la colonie bouger suivant les tempêtes, résister aux – 25°C et aux assauts du vent catabatique. La colonie est relativement calme et soudée. Enfin, le retour des femelles en juillet, avec le petit challenge de retrouver, au chant, son mâle. C’est le début de la cacophonie ! Après les retrouvailles, le mâle lui passe l’œuf, ou même le poussin puisque c’est aussi le temps des éclosions, après une incubation de 62-67 jours. Le mâle peut avoir perdu, pendant ces 3 à 4 mois, 45 % de sa masse ! Il est « svelte » pour rejoindre à son tour l’océan, qui ne s’est pas pour autant rapproché… La femelle passera alors 1 mois à bichonner son poussin, avant le retour du mâle.
Après environ 40 jours, le poussin prend son « émancipation thermique », un joli mot pour dire que ses parents l’abandonnent pour faire des trajets réguliers et fréquents entre la mer et la colonie pour le nourrir. Les poussins s’organisent alors ensemble et forment eux aussi leurs tortues, pour se protéger du froid et des méchants Pétrels Géants, qui profitent de la colonie pour reprendre leurs quartiers dans le coin. Grâce aux trajets incessants des parents,les poussins vont prendre 10 à 14 kg, avant de pouvoir, au début de l’été, prendre leur « envol » (les manchologues ont de l’humour). C’est alors décembre et la saison de reproduction se termine !
Maintenant que les poussins sont nés, je suis de retour quotidiennement sur la manchotière quand les conditions météos le permettent (pas souvent ces jours-ci…). J’observe les tentatives de kidnapping de petits et le retour des pétrels géants (parfois exactement le même jour que la première éclosion observée). Pour l'observation des pétrels géants, il s’agira de comptages et de lectures de bagues dans le cadre du suivi de la population. Pendant ce temps, certains manchots ayant raté leur reproduction tentent de voler les poussins des autres, avec parfois une fin tragique pour le poussin. On nomme cette action, le rapt. Ces manchots sans poussin appelés « inemployés » sont poussés à l’acte à cause de l’hormone liée au soin parental présente en forte concentration chez eux. Mon travail consiste à observer les rapts pour mieux les comprendre. Heureusement, dans beaucoup de cas les parents défendront suffisamment bien leur poussin pour le protéger et je n’aurais pas à être le spectateur de destins tragiques.
Douglas et virgil... ou Virglas et Dougil.
Douglas et Virgil, ornithologues du programme 137 de l'IPEV pour le premier et du programme 109 pour le second sont de ceux-là.
Etre ornithologue à DDU
La grande spécificité de DDU, c’est d’avoir une
colonie d’empereurs juste à côté, dans notre jardin (juste en bas du « Pré »).
C’est d’ailleurs une des raisons de l’établissement de la base sur cet
archipel, alors qu’aucune autre base en Antarctique ne vit l’hiver aux côtés de
ces animaux fantastiques.
Colonie de Manchots "Empereur" près de l'ile Rostand - DDU au fond à droite sur l'ile des Pétrels - Crédit photo: Virgil Decourteille |
Pour nous, ornithologues de la mission 69, c’est donc
une opportunité et un privilège incroyable que de pouvoir travailler chaque
jour auprès de ces animaux. C’est la cerise sur l’omelette norvégienne (il y a
des compétitions d’omelettes norvégiennes ici, pour le plaisir de tout le monde).
En 1951, la base Française est située à Port-Martin,
à 70 km de DDU. Lorsque le premier groupe de la mission Barré vient voir les
empereurs sur l’archipel de Pointe Géologie, ses hommes ont conscience d’être parmi
les premiers au monde (avec les pionniers de la mission Liotard de 1950, et peut-être
de celle de Mawson en 1914) à observer les empereurs en « tortues »,
en pleine saison de reproduction. On ne connait alors presque rien de ces
animaux. La banquise étant large de 100 km, le biologiste Cendron cherche aux
alentours de la colonie des accès à l’eau. Stupéfaction : il n’y en a pas.
Première question : comment peuvent-ils se reproduire ici, et continuer à
s’alimenter, s’ils n’ont pas d’accès à la mer libre ?
Une des réponses vient en réalisant des autopsies
sur quelques individus prélevés : tous sont des mâles. Ils en déduisent
que les femelles sont toutes en mer, et que les mâles doivent « jeûner »,
pour quelques semaines au plus, en attendant la relève, et s’offrir ensuite une
belle randonnée jusqu’à la mer. Il leur aurait alors été difficile de croire
que les mâles jeûnent 3 à 4 mois, dans le blizzard hivernal et la nuit polaire
avec un œuf unique à garder au chaud sur les pattes !
Chaque aspect de la vie de ces animaux est à l’image
du continent : hors-normes.
La saison de reproduction commence à la fin de
l’été, en avril. Les 7 000 à 8000 individus de la colonie de Pointe
Géologie arrivent, chantant et paradant pour trouver un partenaire. C’est chose
faite en avril et en mai, avec la formation des couples pour la nouvelle saison
et les copulations qui s'ensuivent.
Colonne d'Empereurs - Crédit photo: Virgil Decourteille |
Copulation - Crédit photo: Virgil Decourteille |
En mai, les femelles pondent et passent l’œuf aux
mâles, bien contents de rester sur place pendant que celles-ci vont aller
reprendre des forces en mer. Il leur faut alors parcourir à pied/patte (ou en glissant sur le ventre) la distance les
séparant de la mer, puisque pendant tout ce temps romantique, la banquise s’est
formée sur une largeur d’environ 100 km. La petite base de Dumont D’Urville passe donc à
partir de ce moment le plus fort de son hiver avec « ses » 3 500 mâles couveurs, jusqu’en juillet.
Monsieur couve - Crédit photo: Virgil Decourteille |
On voit la colonie bouger suivant les tempêtes, résister aux – 25°C et aux assauts du vent catabatique. La colonie est relativement calme et soudée. Enfin, le retour des femelles en juillet, avec le petit challenge de retrouver, au chant, son mâle. C’est le début de la cacophonie ! Après les retrouvailles, le mâle lui passe l’œuf, ou même le poussin puisque c’est aussi le temps des éclosions, après une incubation de 62-67 jours. Le mâle peut avoir perdu, pendant ces 3 à 4 mois, 45 % de sa masse ! Il est « svelte » pour rejoindre à son tour l’océan, qui ne s’est pas pour autant rapproché… La femelle passera alors 1 mois à bichonner son poussin, avant le retour du mâle.
Au chaud sous la couette - Crédit photo: Virgil Decourteille |
Après environ 40 jours, le poussin prend son « émancipation thermique », un joli mot pour dire que ses parents l’abandonnent pour faire des trajets réguliers et fréquents entre la mer et la colonie pour le nourrir. Les poussins s’organisent alors ensemble et forment eux aussi leurs tortues, pour se protéger du froid et des méchants Pétrels Géants, qui profitent de la colonie pour reprendre leurs quartiers dans le coin. Grâce aux trajets incessants des parents,les poussins vont prendre 10 à 14 kg, avant de pouvoir, au début de l’été, prendre leur « envol » (les manchologues ont de l’humour). C’est alors décembre et la saison de reproduction se termine !
Nous sommes donc les seuls en Antarctique (pour ne
pas dire dans l’univers intergalactique) à suivre entièrement la reproduction
de l’Aptenodytes forsteri, et de
pouvoir l’étudier conformément aux protocoles de nos programmes.
Au programme 137- Ecophys, l’acoustique prend une
part importante puisque c’est un outil très utilisé par ces animaux : Les
empereurs couvent leur œuf sur leurs pattes et n’ont pas de nids. Ils se
déplacent en groupes (en « tortues ») au gré des tempêtes et des
accalmies. Aucun autre manchot (ou oiseau à ma connaissance) ne se reproduit sans
nid, en étant constamment en mouvement (même les manchots royaux restent
globalement dans une zone précise, et ne font pas de « tortues »).
Alors comment, dans une colonie de 3 500 couples,
retrouver son partenaire après une absence de 2 mois ?
Trouvez Charlie - Crédit photo: Virgil Decourteille |
Le chant est la clef de la localisation et de la
reconnaissance des deux partenaires, c’est ce qui permet à cette espèce de se
reproduire, année après année.
Grâce à notre protocole de transpondage des poussins
empereur en place depuis 2009, nous avons maintenant de nombreux reproducteurs
transpondés qui reviennent chaque année. Ainsi, il est possible de suivre leur
chant toute leur vie, et également au cours d’une saison. Les questions
principales sont :
- Les chants évoluent-ils au cours de leur
vie ?
- les chants évoluent-ils au cours d’une même saison ?
Change-t-il en fonction de leur état corporel ?
- Les chants servent-ils à reconnaitre un bon reproducteur
parmi tout ce choix de mâles et de femelles ? Les couples sont-ils
stables ?
Une grosse partie de mon travail en hiver consiste
donc à sortir enregistrer des individus précis, que je connais, et que j’ai
préalablement marqué à la teinture pour les reconnaitre (avec l’aide d’une
équipe motivée). Je suis équipé d’un enregistreur Marrantz, d’un microphone
parabolique, de batteries de rechange, et en avant pour l’espionnage.
Douglas à l'écoute - Crédit photo: Virgil Decourteille |
Cela suppose beaucoup d’heures en
« statique », sans bouger, et par – 25 °C, les quelques heures de
soleil suffisent largement pour donner une hypothermie au micro !
Au-delà de l’aspect scientifique et professionnel de
l’étude de cette population, il est véritablement jouissif pour nous,
hivernants de DDU, de pouvoir aller voir les empereurs quand nous le
souhaitons. La manchotière étant classée ZSPA (Zone Spécialement Protégée de l’Antarctique
n° 120), on ne peut les approcher à moins de 40 m. Mais il faut comprendre
qu’au milieu de l’hiver sur ce continent gelé, voir un autre être vivant est un
avantage énorme pour le mental, en plus d’être un spectacle saisissant. Ce
spectacle est par ailleurs capturé par deux instruments automatiques de
prises de photographies, appelés « microbs », qui documentent les
déplacements à petite et grande échelle de la colonie, et des individus au sein
de la colonie.
Intervention sur l'installation de prise de vues automatique - Crédit photo: Virgil Decourteille |
Pour moi, Virgil, l’ornitho-écologue (programme 109)
les questions ne changent pas trop depuis le début du programme. Le but est en
grosse partie d’étudier la dynamique de la population au cours du temps. Ce
genre de suivi nécessite plusieurs dizaines d’années de données avant de
pouvoir en tirer des tendances et des informations précises. La colonie
d’empereurs est suivie depuis les années 50, son évolution est donc bien connue
depuis bientôt 70 ans ! Pour autant pas question de s’arrêter là puisque,
comme tout le monde le sait, nous sommes dans une aire de changement climatique
et il est important pour nous de mieux comprendre l’évolution des différentes
populations d’oiseaux pour voir comment l’écosystème change. Ces animaux situés
dans le haut de la chaine alimentaire sont de très bons indicateurs des modifications du milieu dans lequel ils vivent. Un changement majeur dans l’océan
antarctique se répercutera et sera visible sur nos sentinelles de
l’environnement que sont les populations d’oiseaux marins que nous suivons ici.
Il y a donc chaque année les même comptages
permettant d’estimer le nombre d’individus, de couples reproducteurs et
d’estimer leur succès reproducteur. En début de saison, cela consiste à se peler
toute la journée dehors pour quantifier les arrivées et départs en fonction des
zones. Le début a été particulièrement compliqué avec le peu de glace et le
regroupement au bord de l’eau libre. Par la suite, avec la formation d’une
nouvelle banquise, il a été plus facile d’observer les manchots arriver
puisqu’il y avait plusieurs centaines de mètres voire plusieurs kilomètres à faire avant
d’arriver sur la colonie. Etant donné que, niveau performances, ils sont loin d'égaler Usain
Bolt, j’ai eu le temps de me déplacer et de faire d’autres choses avant qu’ils
arrivent. Mes jumelles étaient devenues mes meilleures amies, le prolongement
de mes moufles.
Départ de femelles après la ponte - Passage sur le Réseau d'Antennes Linéaires (RAL) de détection des individus transpondés - Crédit photo: Virgil Decourteille |
Une fois les pontes lancées, mon quotidien consiste à
compter les œufs abandonnés. Ce dénombrement des abandons permet, avec les
comptages de poussins, de calculer le nombre de reproducteurs dans la manchotière.
Tout cela couplé avec les photos-comptages nous permettant de connaitre assez
précisément le nombre d’individus présents. Ces abandons sont l’occasion
d’échantillonner quelques œufs en les mesurant. Pour vous donner une idée c’est
en moyenne 12cm de haut, 8cm de large, 440gr pour 1mm d’épaisseur de coquille.
Malheureusement, il n’y a pas d’omelette géante prévue pour la cuisine ! Les
œufs, comme les plumes ou les manchots sont protégés par le traité de
l’antarctique. Seuls, Douglas et moi sommes autorisés à prélever ce qui est
prévu dans notre protocole scientifique. Cette période est plutôt calme en
charge de travail extérieur et est l’occasion de travailler sur les données
récoltées l’été en attendant l’éclosion des premiers poussins (la naissance du premier poussin
est intervenue le 5 juillet).
Tout jeune poussin - Crédit photo: Virgil Decourteille |
Maintenant que les poussins sont nés, je suis de retour quotidiennement sur la manchotière quand les conditions météos le permettent (pas souvent ces jours-ci…). J’observe les tentatives de kidnapping de petits et le retour des pétrels géants (parfois exactement le même jour que la première éclosion observée). Pour l'observation des pétrels géants, il s’agira de comptages et de lectures de bagues dans le cadre du suivi de la population. Pendant ce temps, certains manchots ayant raté leur reproduction tentent de voler les poussins des autres, avec parfois une fin tragique pour le poussin. On nomme cette action, le rapt. Ces manchots sans poussin appelés « inemployés » sont poussés à l’acte à cause de l’hormone liée au soin parental présente en forte concentration chez eux. Mon travail consiste à observer les rapts pour mieux les comprendre. Heureusement, dans beaucoup de cas les parents défendront suffisamment bien leur poussin pour le protéger et je n’aurais pas à être le spectateur de destins tragiques.
Le Pétrel Géant de l'Antarctique (PGA), grand amateur de jeunes manchots "Empereur" - Crédit photo: Virgil Decourteille |
Fiche
d’identité du manchot Empereur :
- Aptenodytes
foresteri
- Environ 54 colonies en Antarctique
- Le seul habitant du continent en hiver ! Tout
un continent pour lui (avec quand même 23 voisins bipèdes ici).
- 600 000 individus au total en Antarctique.
- Colonie de l’archipel de pointe géologie (la
notre !) : 3500 couples
- Colonie de l’île Coulman (la plus
importante) : 25 000 couples
- Mange du krill antarctique (Euphausia superba),
des poissons (Pleuragramma antarcticum), et des calamars.
Douglas et virgil... ou Virglas et Dougil.
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