lundi 20 février 2017

Base Concordia, passerelle entre Terre et Ciel (4/5)

Quatrième volet d'une série de cinq textes de Didier Schmitt parus ou à paraître dans le quotidien "La Tribune". (cf. première partie ICI, deuxième partie ICI et troisième partie LA)
Crédits : Copyright Michel Munoz Institut polaire francais IPEV
Les opinions exprimées dans l'article ci-dessous sont uniquement celles de l'auteur.


Il y a des fêtes de fin d'années que l'on oublie facilement. Celles que je viens de vivre sur le convoi de l'infini, au milieu de nulle part en Antarctique, sont définitivement gravées dans mon disque dur. Difficile de suivre l'étoile du Berger ou la Croix du Sud car il fait jour en permanence à cette époque de l'année. Mais au loin nous apercevons notre but ultime, La Station! Ou plutôt 'Stargate'. Les deux modules qui la compose ont tout l'air d'être une base martienne, et je vais découvrir sous peu le moyen de passer de l'autre côté du miroir, pour ne pas dire de la glace, où le temps et l'espace se rejoignent.
La base franco-italienne Concordia est un lieu d'omniscience, dominant le continent blanc au sommet de son dôme à plus de 3200 m d'altitude. C'est une grande infrastructure hors du commun qui met la multidisciplinarité et la coopération internationale au premier plan. De l'histoire des cycles climatiques aux origines de l'Univers, en passant par la biomédecine en environnements extrêmes, tout y est scruté.


En route sur la glace

Pour acheminer le personnel à l'intérieur du continent c'est la voie aérienne qui est privilégiée; elle demande des avions spéciaux qui viennent du nord canadien chaque saison estivale pour réaliser les navettes entre les bases. Le ravitaillement 'lourd' en matériel et nourriture arrive par trois 'Raids' successifs durant cette même période. De 1997 à 2004 la construction a pu être réalisée grâce à cette logistique unique en Antarctique, sous la houlette de l'Institut polaire français Paul-Emile Victor et de l'ENEA (l'agence nationale italienne pour les nouvelles technologies, l'énergie et le développement économique durable). Cette année, à partir de début février, c'est le treizième hivernage qui va démarrer. L'hostilité de l'environnement nécessite beaucoup de précautions, comme de stocker des vivres et de l'énergie pour deux ans au cas où la relève ne puisse être assurée.

En route pour Mars

C'est un endroit singulier car tout ou presque y fait penser à un séjour sur une autre planète. Les cycles nuit-jour sont déroutants; 100 jours sans voir le soleil entre début mai et début août, dont 15 jours d'obscurité totale. Le confinement est absolu: pas moyen de pousser le bouton de détresse "Mayday", personne ne viendra rompre cet isolement pendant 9 mois de l'année. De plus les interactions interindividuelles sont 'forcées' car il n'y a pas d'échappatoire. Les occupants y sont soumis à un manque d'oxygène chronique (équivalente aux 3800 m de l'Aiguille du Midi dans les Alpes) du fait de la raréfaction additionnelle de l'air aux pôles. Sans le prévoir à son origine, cette station continentale est également devenue un 'analogue' terrestre précieux pour préparer les futures missions martiennes habitées. Une véritable aubaine pour l'Agence Spatiale Européenne qui y mène depuis 10 ans des études de physiologie et de psychologie ainsi que des validations technologiques, tel le recyclage des eaux usées. Comme pour les expériences menées dans la Station Spatiale Internationale par les astronautes, les expériences réalisées à Concordia le sont par un équipage réduit qui est entraîné tout spécialement pour assurer la maintenance technique de la station et les expériences conçues par les experts en Europe.

En route pour le cosmos

Dôme C - où est implantée la base - est le désert le plus sec de la planète (seulement 2 cm de précipitations par an) ; avec des températures sidérales allant de -20°C l'été à -84°C l'hiver. En plus, un ciel dégagé 80% du temps et l'absence de poussières et de pollution lumineuse, en font un lieu d'observation astronomique exceptionnel, ainsi que de la couche d'ozone. Même la récolte de micrométéorites tombant régulièrement sur terre - amortis par la couche de neige - y est facile et abondante. On y mesure aussi les rayons cosmiques avec des spectromètres détectant des neutrons. Enfin, en vue d'améliorer les performances des satellites d'observation en orbite polaire des instruments de calibrage sont installés près de la base. Et bien entendu on ne peut communiquer et se guider que par satellite. Pas étonnant de trouver d'autres coïncidences 'astrales' comme Spoutnik, qui a été lancé en 1957 au moment même de l'année géophysique internationale qui a vu s'installer Américains, Soviétiques et Français dans des hivernages rudes à l'intérieur du continent.

En route pour le passé

Concordia c'est aussi le cœur d'EPICA (European Project for Ice Coring in Antarctica). Ce programme de carottage glaciaire à une profondeur de 3260 m a permis de révéler le mystère de tous les cycles climatiques depuis 800 000 ans; une prouesse absolue. Durant la campagne d'été 2017/18 d'autres records nous attendent avec le projet européen Subglacior qui va réaliser des analyses in situ et vise de remonter encore plus loin dans les archives paléoclimatiques. Ces expériences de forage seront très utiles lors des futures expéditions spatiales humaines pour découvrir la composition des astéroïdes, qui sont les ancêtres de notre système solaire. Et des missions robotiques sont d'ores-et-déjà étudiées pour pénétrer les kilomètres de glace sur Europa, une lune de Jupiter. Car l'Antarctique et Europa ont aussi en commun des lacs subglaciaires où des traces de vie bactérienne archaïque peuvent encore exister.


Prochain article à paraître: Géopolitique aux antipodes (5/5)

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