20 décembre 2025

Portrait d'Adélien - Pierre, le silence des girouettes

 Nous vous proposons d’aller à la rencontre d’un de nos compatriotes du bout du monde. Vous découvrirez les portraits de ces hommes et de ces femmes qui exercent leur art dans le territoire français le plus éloigné de la métropole, en Terre Adélie, sur le grand et mystérieux continent blanc.

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Aujourd'hui, nous vous présentons Pierre ALARY, 62 ans, Toulousain, qui exerce la fonction de technicien de maintenance météo sur la base Dumont-d'Urville. 

Notre ainé d'expédition a commencé sa carrière, il y a bien longtemps, par un bac C (scientifique) avant d'intégrer l'école de la météo, sur concours, à Toulouse. Il réalise alors un an de formation suivie d'un an de stage pratique. A l'issue, il est titularisé en tant que technicien de maintenance météo. Tout juste diplômé, il est alors appelé à réaliser son service militaire et c'est finalement à Kerguelen qu'il va l'effectuer, un peu par hasard. A l'issue de cette première expérience dans les TAAF, il est affecté à Paris durant 3 ans. Puis c'est l'appel des sirènes, il retourne à Kerguelen, cette fois en civil, comme technicien Météo-france. Là bas, il sympathisera avec un skipper, de passage avec son voilier sur les lointaines iles de Kerguelen. Il montrera à ce marin les coins de Kerguelen qu'il connait par coeur. A son retour, une fois de plus, il retrouve la grisaille parisienne, au Bourget, durant 4 ans. 


Quelques années plus tard, alors qu'il vit son quotidien parisien, le fameux skipper le recontacte, il a pour projet de retourner à Kerguelen pour plusieurs mois. Il se renseigne auprès de notre jeune technicien météo, qui connait l'île comme sa poche. Mais au fil des discussions, "Pierral", comme tout le monde le surnomme sur base, va être de plus en plus attiré par cette aventure. Il finit par lui proposer de l'accompagner, sachant qu'il devait partir en solitaire. Pierral n'a alors jamais fait de voilier de sa vie et il n'en a d'ailleurs plus jamais fait. Mais, peu importe, il saute le pas et sa lance dans l'aventure. 

Nous sommes en 1994, c'est le grand départ, il rejoint son co-équipier, Christophe Houdaille, et ils hissent la voile, ils navigueront 3 mois, sans aucune escale, jusqu'à Kerguelen. Son co-équipier au caractère bien trempé, n'est pas un bavard. Est-ce là que Pierral a attrapé le virus et est devenu le taciturne mystérieux que nous connaissons aujourd'hui ?


Ce début de "croisière" se passe bien à bord, les deux hommes ne discutent guère, mais c'est après tout leur façon de fonctionner... Puis, passé l'Afrique du Sud, la croisière ne s'amuse plus, les 40èmes sont là, accompagnés de leurs vagues de 10m de haut. "A ce moment là, je me demande, ce que je fout là dedans...". Enfin, Kerguelen approche à l'horizon, il y resteront durant 3 mois, mouillant autour de l'île. Finalement, Pierral quittera son co-équipier en embarquant avec le Marion Dufresne (Navire de ravitaillement des TAAF), appelé par ses devoirs professionnels en Métropole après avoir reçu un télégramme de son père, adressé à Port au français puis retransmis par radio au voilier. De toute façon, son devoir familial l'appelait également, son 1er fils, Tristan, devait naître 2 mois plus tard. Le jeune Tristan, héritera en 3ème prénom, de celui de "Kerguelen"... 


Après cette épopée marine, il rejoint le centre national de recherche météorologique de Toulouse, changeant de métier, il fera de la recherche sur les modèles numériques. Il restera 10 ans dans cette fonction. Enfin, dernier grand changement pour lui, il deviendra régisseur du centre international de conférence de Météo France, durant 20 ans. 

Finalement, Pierral cherche à terminer sa carrière de façon originale, il est libéré de toute contrainte familiale. Il veut retrouver les TAAF, et cette fois il veut découvrir la Terre Adélie, après ses séjours à Kerguelen. Une fin de carrière en vrai feu d'artifice ! 


Sur base, Pierral est en charge de maintenir en état de fonctionnement optimal la station météorologique sur le plan technique. Il veille en permanence à ce que tout fonctionne. Il a également beaucoup de travail pour l'entretien des systèmes informatiques de la station météo. Il assure également la maintenance des capteurs qui disposent de l'ensemble des paramètres météorologiques. Il effectue également avec le prévisionniste du jour, le lancer du ballon sonde, chaque matin. 

Pierral est aussi engagé dans l'équipe médicale de la base, il assiste alors le médecin pour la prise en charge des éventuelles urgences médicales. 


Sur son temps libre, Pierral passe beaucoup de temps en cuisine, "je fais la petite main", il rejoint souvent les sorties banquises, profitant de ces moments magiques. Et le reste du temps, il lit beaucoup, principalement des polars et si possible des polars historiques. Il a écumé, en parallèle, toutes les BD de la base ! "Au moins une centaine !"

C'est également un spectateur assidu des séries et films diffusés au séjour et dans la bibliothèque et surtout, des matchs de rugby ! Il n'en manque pas un ! Surtout si son club préféré joue ! Je ne vous préciserai pas quel club il supporte... 


Pierral est aussi un artiste, dans un style très différent de son fils Noé, mais tout de même... Il est le dessinateur officiel des caricatures du Pétrel enchainé (la gazette mensuelle de Terre Adélie), les hivernants découvrent leurs traits avec crainte chaque mois.

Pierral aide aussi les différents professionnels de la base, découvrant leur métier, menuiserie, soudure, quart centrale, ... 

Enfin, il participe aussi aux jeux sur base. "Je fais partie de la secte", comprendre qu'il fait partie du club de coinche de la base, club très actif. 


Si vous le cherchez, ce n'est pas grâce au son de sa voix que vous le trouverez... En effet, notre ainé, de nature taciturne, n'est pas homme à parler pour ne rien dire. Mais les hivernants ont compris qu'il n'y avait pas besoin de parole, une simple inclinaison du menton en avant en entrant dans la cuisine et Alice, notre cuisinière, comprend qu'il veut savoir si elle a besoin d'aide en cuisine. Une inclinaison de la tête, cela veut dire que la partie de coinche va commencer... Et derrière tout cela, c'est pourtant un personnage à l'humour bien forgé qui se cache derrière cette carapace. Finalement, c'est ce personnage discret, silencieux, taciturne qui est devenu, malgré lui, la mascotte de la mission. Probablement, l'hivernant le plus mis en avant dans les photos du jour (photos humoristique publiés sur l'intranet de la base quotidiennement), le mettant dans toutes les situations imaginables. Là où la parole n'est pas, l'imaginaire prend place... 


Vous le trouverez surement dans son antre, son laboratoire à girouettes, vous découvrirez alors un ventilateur animant une girouette ou un anémomètre. Tel le professeur tournesol, il semble réaliser dans ce petit atelier, des expériences curieuses... Il sera surement avec son compère, Ismaël, le lidariste, partageant un Backgammon. S'il n'est pas dans son atelier, plus aucun doute, il est forcément dans la cuisine, en train d'éplucher des pommes de terre... Encore une dernière hypothèse ceci étant dit ... Il passe également son temps à chercher ses lunettes qu'il égare de partout dans la base, vous pouvez être assuré que là où se trouve ses lunettes, vous ne le trouverez pas...


Ce qu'aime Pierral ici, c'est le fait d'être à l'écart du monde, isolé des problèmes du monde et de vivre en dehors du temps.    

"J'ai adoré pouvoir conduire une fameuse et un challenger sur la banquise, je pensais pas faire ça dans ma vie ...."

Une anecdote à nous raconter ? 

"Je suis parti nettoyer les tasses de café de la météo au séjour, de belles tasses... En revenant du séjour, les tasses toutes propres et brillantes dans les mains, j'ai trébuché sur les caillebotis, les tasses se sont envolées dans les airs et hop.. plus de tasses... "

Un mot pour terminer ? 

"Je suis très content de terminer ma carrière dans un endroit comme ici. Si je n'étais pas à présent en limite d'âge, je serai surement partant pour revenir encore... mais bon... la boucle est bouclée... Place aux jeunes ... 

J'ai commencé ma carrière à Kerguelen, je la finis en Terre Adélie"

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Voilà, il s'agissait du dernier portrait d'hivernant, il est temps pour moi de tirer ma révérence. J'espère avoir réussi à vous partager quelques instants de vie durant cette année au coeur de l'Antarctique, vous permettant, vous aussi, de vous évader le temps de quelques lignes et photos. J'espère avoir retransmis fidélement le quotidien de ces hivernants, vos proches, vos enfants, conjoints, petits enfants, amis, camarades d'aventure polaire ou simple inconnus. 

Vive la Terre Adélie et bon vent à tous. 

Pierre BASCELLI - DISTA TA 75.    

  

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